• Quel design à l’heure de la réalité augmentée?

    Par Alexandre Cocco.

    Consistant à ajouter, par le biais de technologies numériques et/ou informatiques, des informations (textes, sons, images fixes ou animées…) en superposition à la réalité « physique », la réalité augmentée se décline et envahi aujourd’hui plusieurs aspects de notre quotidien. Parfois proche du gadget, elle n’en participe pas moins à de nouvelles modalités de perception de notre environnement, et gagnerait à être envisagée dans une approche plus globale de conception.

    Ses applications, de plus en plus nombreuses, concernent les domaines du jeu vidéo, du cinéma et de la télévision (incrustations d’images, de publicités, de séquences animées), du tourisme (plans interactifs, visites virtuelles), de l’éducation (serious games), du médical, de l’industrie (conception, assemblage, robotique…), etc.

    Si la technologie n’est pas nouvelle – elle a été utilisée il y a une vingtaine d’années pour le pilotage d’avions militaires –, elle prend aujourd’hui une place de plus en plus importante, à cause de trois facteurs liés : le déploiement des technologies sans fil, celui de la téléphonie mobile et celui de la géo-localisation.

    Ainsi, comme le précise Stéphane Natkin, directeur de l’École nationale du jeu et des médias interactifs numériques, « Lorsque votre iPhone vous renseigne sur les rues ou les monuments, il s’agit de réalité augmentée » (« Quand le réel enrichit le réel », PC Expert Septembre 2009).

    La réalité augmentée interagit donc en temps réel avec notre environnement matériel, auquel elle vient ajouter des éléments non perceptibles naturellement. Selon notre position, nos déplacements, elle se modifie et délivre de nouvelles informations.

    Mais de quelle(s) façon(s) cette possibilité technologique, dans la mesure où elle participe à une nouvelle perception des éléments qui nous entourent, pourrait rétroactivement influencer la manière dont ceux-ci sont conçus? Le peut-elle ou le doit-elle réellement? Posons quelques scenarii possibles.

    Des objets plus simples, mis en scène et décorés virtuellement…

    Une première piste de généralisation de la réalité augmentée consisterait à proposer des objets plus simples formellement (peut-être moins chers à produire?), principalement considérés comme des supports d’informations (temporaires ou plus pérennes, décoratives ou fonctionnelles).

    Modifiables selon les ambiances ou les configurations, ceux-ci placeraient l’utilisateur en véritable « metteur en scène » de son environnement. Le risque est par contre que d’un point de vue matériel, ces artefacts en eux même ne constituent plus qu’une réalité « diminuée », que seule l’appropriation par des technologies spécifiques permettrait d’aborder dans son entièreté.

    Ou des objets plus complexes, des « kits » revisités, et une nouvelle approche de la relation designer/utilisateur/objet?

    À l’opposé de cette relation « de surface », principalement esthétique ou informative (projetant des décors ou des informations), la réalité augmentée pourrait aussi générer des pénétrations plus profondes entre les univers réels et virtuels, influençant la nature des formes produites.

    Un exemple : les distributeurs de meubles en kit, aujourd’hui limités (on le devine!) par le savoir-faire des consommateurs et leur capacité à comprendre des modes d’emploi parfois abscons, pourraient proposer des objets aux volumétries et assemblages nettement plus complexe… Avec l’idée que des explications interactives et en temps réel rendraient le montage plus accessible.

    Plus de fonctions et moins de matière

    En allant plus loin, il apparait évident qu’un certain nombre d’objets dont nous nous servons quotidiennement soient amenés à disparaitre. C’est particulièrement vrai dans le domaine de la téléphonie et de l’informatique, où il est possible qu’un seul outil technologique, relié à Internet et muni par exemple d’une micro-caméra et d’un pico-projecteur, puisse saisir nos gestes, les enregistrer et au besoin projeter des images correspondantes sur un support quelconque (une feuille de papier, un mur…), devenu « écran » temporaire.

    Une appropriation virtuelle de notre environnement matériel

    La réalité augmentée permet aussi à l’utilisateur d’ »incruster » dans son univers matériel des informations qui lui sont personnelles. Dans le domaine du tourisme, les applications sont évidentes, chaque expérience dans un hôtel ou un restaurant pouvant donner naissance à une somme de livres d’or parallèles, accessibles aux personnes passant alentour.

    À un niveau plus individuel, d’autres utilisations, devraient nous permettre d’ajouter à certains endroits ou sur certains objets des repères et commentaires, participant ainsi à une appropriation virtuelle de notre environnement matériel. Un exemple: arrivant devant la porte d’entrée de son logement, une personne trouverait un message que lui seul pourrait lire, du type « les clés sont sous le paillasson. PS : tu as vu, il y a un petit éclat de peinture sur la porte, juste ici! »…

    Tout ou partie de ces informations pourrait même remonter vers le producteur ou le concepteur de l’objet, même si l’aspect « Big Brother » de cette éventualité est à questionner. On devine ainsi les réactions d’un industriel, d’un architecte ou d’un designer mesurant les commentaires des usagers sur leurs réalisations, la manière dont elles sont utilisées et jugées…

    Le « design » et « l’architecture » de la réalité augmentée

    Dans la mesure où elle définit de nouvelles modalités de dialogue entre l’Homme et son environnement, la réalité augmentée devra nécessairement se poser la question de son « design » et de son « architecture ».

    En effet, l’accumulation d’informations à l’infini, leur accès, leur ordre et leur présentation dans l’espace et le temps ne pourra pas se limiter à une approche purement technologique. Et d’autres facteurs, de l’ordre de ceux que le designer ou l’architecte manipulent quotidiennement, concernant l’appropriation, la perception sensible et spatiale, les usages et leur mémoire, l’importance du lieu et de sa topologie, seront à intégrer dans cette réflexion.

    Cet article est paru, dans une version légèrement plus longue et plus illustrée, dans le n°186 de la revue d’Architectures.

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    Quelques projets de réalité augmentée:

    SixthSense
    www.pranavmistry.com
    Développé par Pranav Mistry, étudiant du MIT, SixthSense permet, à l’aide d’une webcam, d’un projecteur miniature et de quelques câbles reliés à un smartphone, d’interagir « physiquement » avec son environnement, de prendre une photo, de classer des documents…

    Cyclopedia
    www.chemicalwedding.tv
    Cyclopedia est une application développée par Chemical Wedding, qui utilise Wikipedia, la caméra et la boussole de l’iPhone 3GS pour proposer des visites en réalité augmentée de différents sites.

    The Ray Ban Virtual Mirror
    www.ray-ban.com
    Le site de la marque Ray Ban propose à ses visiteurs, munis d’une webcam, d’essayer virtuellement ses différents modèles.

    Urban Cursor
    www.urbancursor.com
    Le designer danois Sébastien Campion a imaginé, à l’occasion d’un festival qui s’est déroulé du 23 au 27 septembre dernier à Figueres, en Espagne, un projet intitulé Urban Cursor, consistant en un curseur géant, pouvant faire office de mobilier urbain, qui était offert aux manipulations du public, et dont les différents déplacements étaient enregistrés grâce à un système GPS intégré.


    8 commentaires

    1. Tweets that mention Quel design à l’heure de la réalité augmentée? « La Revue du Design -- Topsy.com dit:

      [...] This post was mentioned on Twitter by Laurent DEMONTIERS, Intramuros Magazine. Intramuros Magazine said: @LaRevuDuDesign Quel design à l’heure de la réalité augmentée? http://bit.ly/7VxzjD [...]

    2. Prof Z dit:

      Alexandre,
      Un jour un quidam pose la question à Starck sur sa def de l’homme mutant, il lui repond vous avez des lunettes, vous êtes un mutant.
      Je vous pose une question de candide, si je projette une image de clavier sur la table ou que je compte sur mes doigts, je fais de la réalité augmentée?

    3. Prof Z dit:

      Le design du futur, c’est quoi?
      http://www.internetactu.net/2009/03/05/le-design-pour-construire-le-futur-dans-lequel-nous-voulons-vivre/

    4. Prof Z dit:

      632 videos de « realité augmentée » su google , ce qui permet de mieux appréhender ce secteur

    5. La Revue du Design dit:

      @Prof Z.
      A mon sens, et bien que cet article soit plus celui d’une personne curieuse de ce domaine que de spécialiste: si vous projetez un clavier, sur une table, il se passe trois choses:
      1. la projection en elle même,
      2. la référence à un objet existant, le clavier, auquel on substitue un équivalent virtuel,
      3. l’utilisation de la table, objet physique « normal », pour plus que ce qu’elle n’est en réalité,
      …donc il s’agit bien de réalité augmentée.
      Et si vous comptez sur vos doigts et bien… tout simplement vous comptez sur vos doigts: pas de projection, pas de référence à un autre objet existant, et l’utilisation de vos doigts dans un cadre d’actions qui découle de leurs qualités directes et connues.

    6. Prof Z dit:

      J’apprends en marchant.Le connais la dématerialisation puisque c’est une des thematiques du discours starckien.J’ai donc cherché à dématérialiser mieux que par une chaise transparente qu’il dit lui même être une faiblesse.
      Un jour je decouvre un concept de Mac Funamizu dans un blog , je comunique avec lui pour le faire entrer dans ma Z Tim : il vient d’obtenir le red dot… pour de la realité augmentée . A voir sur google
      Or Stieger parle du retour des objets.
      Ma question est mal posé :Comment je projette sur mes doigts comme sur la photo?

    7. Light Touch « La Revue du Design dit:

      [...] Il ouvre la voie à un ensemble d’application Internet/multimédia s’affranchissant des écrans, et permettant donc une miniaturisation encore plus importante (voir à ce sujet l’article que nous avions consacré à la réalité augmentée). [...]

    8. La Revue du Design » Blog Archive » Mouseless project dit:

      [...] équipe du MIT, dirigée par le chercheur Pranav Mistry dont nous avions déjà évoqué le projet Sixth Sense, le Mouseless project permet de contrôler, sans souris et la main totalement vide, les mouvements [...]

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