La caricature du designer en action
Par Clément Gault.
Dans une entreprise, la photocopieuse est semble-t-il un endroit particulièrement stratégique. Mon bureau étant juste à côté de la dite machine, je fais parfois d’agréables surprises sur ce que impriment mes collègues. Dernièrement, un collègue à laisser traîner une photocopie tirée d’un ouvrage. L’illustration a tout de suite attiré mon regard…
Cette illustration était accompagnée d’une légende (originellement en anglais):
Les compromis de conception (”design” dans le texte). Le designer, en haut à gauche, veut une chaise unique, sophistiquée, qui la différencierait de toutes les autres – un fauteuil de signature. Le comité de la santé et de la sécurité exige que les mains, les pieds et la tête soient positionnés pour prévenir les blessures. Le basculement est interdit. Les ingénieurs fournissent une conception (”design” dans le texte) solide, robuste et pratique. Le marketing mène des focus groupe et revient avec une liste de caractéristiques: réglages, accessoires et porte-gobelet. La fabrication veut des matériaux simples, coupés avec des outils simples, assemblés avec des chevilles et de la colle. Quant aux clients, ils veulent une simple et confortable chaise à bascule, comme en bas à droite. (Dessin original de Brian Hall [...])
Ce dessin m’a vraiment troublé (et fait sourire aussi) puisque j’ai réellement eu l’impression qu’il était tiré d’un livre des années 60 alors qu’en fait il date de 1997 et se trouve édité dans un livre de 1998 écrit par la célèbre Don Norman: The Invisible Computer.
Si les caricatures ont parfois la vertu de simplifier une situation afin de mieux la comprendre, je reste ici dubitatif. Le travail du designer est tourné vers la forme et l’usage d’un futur produit, (il n’est pas tout seul bien sûr pour cette tâche), mais ici le dessin montre que le fauteuil du designer est le plus éloigné de ce que veut le consommateur.
Le designer est présenté par le dessin et sa légende à travers la figure caricaturale oscillant entre l’artisan et l’artiste, une figure qui ne travaille pas généralement de manière intégrée à une entreprise. Car en réalité il s’agit de ça! La suite du chapitre traite justement de l’organisation des différents métiers dans un projet au sein d’une entreprise. On suppose que le designer dont parle l’auteur est plus un designer industriel intégré. A ce sujet, Don Norman apporte une analyse dans la suite du chapitre qui me parait tout à fait juste:
The traditional sequence of product design is technology-driven. Marketing provides a list of essential features: the engineers state what neat new technical tricks and tools they are ready to deploy. The engineers build the device, putting as many new technologies to work as they can within their allotted time and budget, squabbling with marketing along the way over which of those features really matter and which don’t. Then after all is finished and the product ready to ship, call in the technical writers to explain it to the customers. Call in the graphics and industrial designers to make it look pretty. Call in the user interface experts to make it usable.
Guess what: this process doesn’t work.
L’auteur donne par la suite un conseil tout à fait d’actualité (alors que le bouquin date pourtant de 1998):
I suggested that development start with the study of the true needs of customers determined through observation and structured interaction. Start with observations using psychologists and anthropologists, skilled social scientists who know how to observe and learn without disturbing the phenomena they are there to record. Analyze what has been observed. Do quick tests of design concepts. Do rough, quick mockups and try them out in the context of the customer’s location, be it home, office, school or athletic field. Try different industrial designs. Try different interaction models. Then write a simple manual. Test as you go along on different populations, all representative of the target customer. Then, and only then, start with the technological factors and the design details.
[...]
The proper way to get an acceptable product is through a cooperative process with all the concerned parties participating at every step of the way.
La caricature utilisée dans le dessin n’est pas infondée, loin de là! En revanche, elle semble ne pas être sur le bon terrain. Il existe des nombreuses caricatures de designers je pense, mais c’est étonnant de voir qu’une soit autant dominante vis-à-vis des autres.
Cet article est également paru sur le blog Design et Recherche.
le 25 mars 2010 à 10 h 23 min
Ce sujet soulève toute une série de questions: comment
né un objet design? Comment cette genèse de l’objet est elle racontée ? Est ce qu’en entrant dans la cuisine interne on est toujours éblouie par le chef … le produit, l’entreprise et le designer? Presqu’à chaque fois que j’ai mené une enquête approfondie, le mythe du genius design, du starchitecte designer de mobilier s’est écroulé.
le 25 mars 2010 à 11 h 43 min
c’est un sujet d’étude très intéressant
le 25 mars 2010 à 12 h 49 min
Au delà de la caricature en elle-même, qui possède évidemment ses limites, la perception du travail et du rôle du designer sont effectivement des sujets d’études passionnants, auxquels les designers eux-mêmes devraient s’intéresser…
Remercions au passage Clément Gault de nous permettre de nous poser ces questions.