Responsabilité, design et normes sociales
Par Nicolas Minvielle.
Je suis toujours un peu étonné de la position prise par certaines parties prenantes lorsqu’il s’agit de tenter de faire évoluer les comportements. Certains essaient la démarche « marketing lessivier des années 70″ en tentant d’expliquer à quel point il est plus intéressant de faire des économies en recourant à leurs produits. D’autres expliquent qu’il s’agit là d’une démarche engagée et qu’il y a urgence.
Je ne remets pas en cause ces approches, mais je suis toujours un peu déçu du temps que met la recherche universitaire pour se vulgariser.
Prenons un exemple. Durant l’exposition So Watt d’EDF, des dizaines de produits tous plus étonnants les uns que les autres ont été présentés. Les plus intéressants à mes yeux étant ceux permettant de donner un outil aux clients pour quantifier leur consommation et donc la gérer.
L’approche est extrêmement pertinente mais repose malheureusement sur l’engagement personnel, et ce dernier est fort aléatoire, la littérature sur le sujet regorgeant d’exemples de passagers clandestins.
A l’inverse, plutôt que de limiter l’approche à la simple responsabilisation personnelle, il serait bien plus adéquat de mettre les comportements personnels dans une perspective beaucoup plus large. L’être humain a ceci d’étonnant que lorsque l’on compare ses activités à celles d’autres personnes, l’incitation au changement prend brusquement une toute autre ampleur….
A titre d’exemple et pour souligner ce point, dans une recherche menée en 2008, des chercheurs américains ont tenté de définir ce qui amenait des passants à donner de l’argent à une personne jouant de la musique dans le métro.
Pour ce faire, ils ont analysé le pourcentage de personnes faisant un don, et ce sans que les paramètres ne soient changés. Une fois ceci fait, ils ont modifié les paramètres en demandant à un de leurs acolytes de jouer le rôle d’un faux donneur. En l’occurrence, à chaque fois qu’un passant s’approchait de la personne jouant de la musique, ledit acolyte le précédait et faisant un don. L’évolution du cadre de test peut paraître mineure, mais elle ne l’est pas lorsque l’on apprend que les passants suivant l’acolyte ont une probabilité de don qui est huit fois supérieure à celle des passants du premier groupe!!!!!
Les mêmes chercheurs ont alors essayé d’appliquer ce raisonnement aux économies d’énergie. Pour ce faire, ils ont fait une étude dans des secteurs résidentiels afin de déterminer quelles étaient les raisons pour lesquelles des habitants avaient décidé de mettre en place un système d’économie d’énergie. L’analyse des résultats, (qui étaient déclaratifs) a fait apparaître un rationnel étonnant dans la mesure où les habitants agissaient, non pas pour lutter pour l’environnement, mais car les autres habitants agissaient.
Afin de valider ce point qui à priori était quelque peu étonnant, des panneaux publicitaires furent installés dans une ville californienne pendant quatre semaines. Les publicités présentées sur ces panneaux expliquaient aux résidents que des efforts en termes d’économie d’énergie (1) permettaient d’aider l’environnement, (2) bénéficiaient à la société, (3) leur permettait d’économiser de l’argent ou, (4) étaient une pratique courante au sein de la communauté.
Les résultats obtenus en termes de baisse de la consommation sont venus clairement confirmer le fait que l’approche normative (c’est un comportement courant dans votre quartier) était la plus efficace. Dit autrement, lorsque la norme comportementale est d’économiser de l’énergie, tous les habitants ont tendance à la suivre.
Alors si l’on reprend l’exemple de l’horloge présentée plus haut, peut-être conviendrait-il de rajouter une information présentant les consommations personnelles mais aussi celles de ses voisins? Ceci pose évidemment la question de la divulgation de comportements privés mais après tout, l’écologie me paraît être une problématique suffisamment urgente pour réfléchir à toutes les solutions.
Seul petit bémol évidemment: les personnes ayant des comportements responsables et dépensant moins que les autres ne manqueront pas d’estimer qu’elles peuvent consommer un peu plus au vu des piètres résultats de leurs voisins…
Cet article a également été publié sur le blog de Nicolas Minvielle, intitulé design-blog.info.
le 26 mai 2010 à 8 h 58 min
« Je ne remets pas en cause ces approches, mais je suis toujours un peu déçu du temps que met la recherche universitaire pour se vulgariser. »
Je trouve que cette vidéo traduit de manière presque caricaturale le rapport design université, design- arts plastiques, design- recherche en France…
Le design est tellement proche et étrange voire étranger à la fois…
http://vimeo.com/7472669
le 26 mai 2010 à 9 h 22 min
Le design est presque toujours contextuel . S’inscrit il dans l’économie de l’attention, dans la société de spectacle, dans la société d’hyperconsommation, dans la pulsion, dans le désir, dans le choix individuel, dans la norme sociale, dans la representation sociale , dans le statutaire, dans la critique, dans le passé, dans le présent, dans le futur, dans la nécessité, dans la contingence…
Quelle analytique de la conception ? Parure etpointe en Design.Armand HatchuelProfesseur à l’Ecole des mines de Paris
http://a.appliques.creteil.free.fr/telechargements/design/HATCHUEL%20A.pdf
le 26 mai 2010 à 10 h 54 min
l’exposition So Watt d’EDF n’était pas destinée à présenter des produits mais de demander aux designers de matérialiser l’énergie par des concepts, des protos dans le cadre des fameuses économies d’énergies …. D’ailleurs la plupart des projets sont restés à l’état de concepts, de protos…
On peut se poser la question de l’objectif , du dessein d’EDF :pedagogique, prospectif ou simplement evenementiel et marketing ?
http://www.youtube.com/watch?v=wgMfKTE4Jy0
le 26 mai 2010 à 14 h 24 min
il est interessant de voir comment Gilles Belley (ensci) , sans pratiquement aucun projet d’édition, a communiqué sur nootan via blog et presse (interrupteur lumineux en photo + autre dispositif) pour attirer la lumière sur son travail et sur lui … pour arriver, au final, à la couv d’intramuros…
Ses reponses à Terra eco sont aussi très interessantes et donnent des éléments de reponse à Nicolas Minveille
http://www.terra-economica.info/So-Watt-what-next,189.html
le 27 mai 2010 à 12 h 17 min
« je suis toujours un peu déçu du temps que met la recherche universitaire pour se vulgariser »
> j’ai l’impression que le vrai problème n’est pas le temps, mais qu’il vient plutôt du statut du chercheur :
A travers vos exemples on voit bien que l’adoption de nouveaux comportements / produits est liée à une démarche de suiveur, et pas de réflexion personnelle des individus. Et par définition le chercheur ne peut pas avoir l’influence massive et directive du leader d’opinion pour un groupe de consommateurs (donc pour une société)…
C’est triste, on va être obligés d’attendre que les firmes pétrolières passent au discours écolo pour voir quelque chose changer. Tic tac, tic tac…