Patrick Jouin, de proche en proche
Par Caroline Bougourd.
L’exposition Patrick Jouin. La substance du design s’est terminée il y a quelques semaines à Beaubourg, mais il reste heureusement au visiteur distrait ou au curieux de tout poil le catalogue édité par le Centre Pompidou…
Exposer le design et a fortiori un designer en particulier n’est pas chose aisée. On se souvient encore de l’exposition tonitruante et égocentrée de Philippe Starck accueillie par la même institution en 2003. Mais ici, aucun narcissisme comparable, ce que l’on perçoit au travers du catalogue c’est le métier du designer tel que Patrick Jouin le vit. En effet, l’ouvrage ne retrace pas une épopée brillante ni ne glorifie une « star » du design mais présente chaque projet avec clarté et simplicité. Que l’on aime ou pas les produits de Patrick Jouin, peu importe. Ce catalogue prend le parti de ne pas glorifier le designer mais de le présenter à sa juste place : au carrefour entre une demande et des utilisateurs.
L’ouvrage est richement illustré sans se limiter pour autant à un livre d’images; l’iconographie variée (croquis, plans, photographies des personnes au travail, maquettes, prototypes ainsi que les réalisations) est accompagnée de textes concis et explicites pour chaque projet. Ces textes mélangent narration de la situation, explications techniques, données poétiques, description des réalisations, le tout agrémenté d’une poignée de références assez variées (de l’architecture à la philosophie en passant par le cinéma et la photographie), et d’un zeste d’emphase parfois, pas vraiment indispensable au demeurant. Le dosage est équilibré et permet de comprendre les tenants et aboutissants des projets sans être rébarbatif : une recette efficace.
Mais ce qui surprend au premier abord le lecteur c’est l’aspect non-linéaire du catalogue. Ici, rien ne sert de suivre consciencieusement page après page sa lecture, les projets ne sont pas classés, ni chronologiquement, ni typologiquement. Même si on avait fini par le deviner, le parti pris est expliqué presque à la fin du livre : il s’agit d’un document combinatoire fluide, à liens multiples, dans lequel le lecteur n’a qu’à « zapper » parmi les différents « clusters, ou grappes de représentation ». Cependant, il semble y avoir une logique interne dans l’ouvrage. À chaque fois, trois à cinq projets sont regroupés par « séquences » et confrontés selon une réflexion sous-jacente. Mais le lecteur n’a la plupart du temps aucune clé de compréhension. De plus, l’analogie au cinéma et plus spécifiquement au « road movie » ne convainc pas et paraît accessoire. La critique essentielle que l’on peut faire à ce catalogue réside donc dans la structuration générale des projets, faussement aléatoire mais néanmoins réfléchie, qui n’apporte pas outre mesure la mobilité de lecture recherchée. Pour autant, les processus de recherche et la démonstration des objets en train de se faire est lisible et la mise en page, dont certaines vignettes permettent le passage fluide d’une page à l’autre, fonctionne bien.
La cuisine du métier
Nul besoin ici d’être un expert du design : le livre s’adresse à tous, dévoilant tranquillement le processus créatif et le métier du designer.
Les différents acteurs d’un projet sont clairement montrés, à la fois au travers du travail d’équipe au sein de l’agence, mais aussi par la large place offerte aux commanditaires, clients, partenaires, utilisateurs en tous genres et autres collaborateurs tels que techniciens, architectes, ingénieurs et artisans. Ces derniers ont souvent une place de choix dans les projets de Patrick Jouin, à égalité avec les chefs cuisiniers (en particulier Alain Ducasse avec lequel le designer a collaboré dans le cadre d’un projet de la casserole universelle Pasta Pot pour Alessi ou pour différents restaurants tels le Plaza Athénée à Paris ou Alain Ducasse at the Dorchester à Londres).
Les étapes successives sont aussi mises en évidence, tout en privilégiant une approche intuitive, loin d’une méthodologie qui serait unique et applicable partout.
L’agence de Patrick Jouin s’attèle aux activités les plus diverses, depuis le design, l’architecture d’intérieur, les scénographies, les installations jusqu’à la recherche expérimentale, donnant à voir un métier de plus en plus polyvalent, capable de passer de la spatule à étaler la pâte à tartiner Tarti’Nutella à l’élaboration des chaises Solid en prototypage rapide en passant par l’aménagement intérieur de la boutique Van Cleef & Arpels à Paris.
On assiste à un dévoilement du métier de designer par la mise en lumière de tout ce qui permet au projet de se construire ainsi qu’à une mise à nu du processus créatif.
Le designer « next door »
Tout flâneur parisien est déjà familier de deux des réalisations les plus connues du designer : les stations de Vélib’ et les nouvelles Sanisettes urbaines. Le design de Patrick Jouin se présente finalement dans ce catalogue comme ses projets de mobilier public : disponible, visible sans être racoleur, au service de chacun, accessible, sans chichi. Et ce, même si paradoxalement la plupart des projets ont pour commanditaires des marques de luxe ou des clients fortunés.
Si l’on retrouve bien quelques photographies du designer dans le catalogue, il n’est pas plus présent que ses clients ou les membres de son équipe : les différentes réalisations ne sont jamais étouffées par l’image de marque du designer. Contrairement à Matali Crasset, par exemple, qui utilise sa coupe de cheveux comme logo pour s’identifier, Patrick Jouin laisse la place aux projets et ne les sature pas d’une communication hypertrophiée. Il ressort du catalogue l’idée que Patrick Jouin pourrait être notre voisin de pallier et qu’il est ici prêt à nous raconter son métier, de bon cœur, sans aucune mystification ni faux semblant.
À la question « qu’est-ce que le design ? », le designer affirme répondre invariablement : « C’est ma vie de tous les jours et c’est ce que j’aime faire ». C’est bien ce que le catalogue a le mérite de présenter : le plaisir du métier de designer, au quotidien.
« Patrick Jouin. Espaces et objets ». Valérie Guillaume, Patrick Jouin, catalogue de l’exposition. Editions Centre Pompidou, 2010.
Agrégée d’Arts Appliqués, ancienne étudiante du département Design de l’École Normale Supérieure de Cachan, Caroline Bougourd est maintenant doctorante en Design et Environnements à Paris 1 – La Sorbonne. Depuis un détour de deux années à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, elle s’intéresse à la réception et à la transmission en architecture. Sa recherche porte plus particulièrement sur les chantiers expérimentaux de maisons préfabriquées de la Reconstruction et leur récente patrimonialisation.
Cette critique d’ouvrage est également parue sur le site nonfiction.fr.
le 13 juillet 2010 à 10 h 19 min
« Par le biais du travail de Patrick Jouin, le métier de designer est mis en lumière avec simplicité et humilité ».
Bravo Patrick, notre voisin/designer de pallier…
le 13 juillet 2010 à 15 h 14 min
« designer de pallier »…c’est pas un peu trop modeste, non?
le 13 juillet 2010 à 19 h 06 min
Patrick Jouin est un designer de terrain, très urbain dans tous les sens du terme, très connu en ville avec des racines provinciales, nantaises pour être précis…J’apprécie beaucoup Teracrea de Candori Mauro et je me pose une question impertiente et sans doute pertinente: pourquoi alors Patrick Jouin n’est pas dans la liste des designers de Tecacrea?
le 14 juillet 2010 à 9 h 57 min
Merci pour vos appréciations, mais mon expérience avec Teracrea s’est arrêtée depuis un an et demi, et donc…; ça ne m’empêche pas de suivre avec passion le travail de Patrick Jouin et d’autres designers sur « La Revue du Design ». Et peut-être un jour….sur un autre projet.
le 14 juillet 2010 à 15 h 35 min
Pour beaucoup d’observateurs, le design, surtout en France, est le design pays du Je? Or j’ai lu cela sur votre blog:
« Quand Sebastian Bergne m’avait envoyé par mail le projet Greenroom de Tomas Alonso pour connaître mon avis, je n’ai pas attendu une minute pour téléphoner au jeune designer, pas seulement pour le feliciter pour son idée simple et spectaculaire, mais bien évidement pour lui proposer de réaliser son produit pour la collection Teracrea »
Pour Patrick Jouin , j’attends avec une certaine gourmandise sa planche à découper pour Alessi…. Cela me fait penser à la première demande d’Alberto Alessi à Philippe Starck: dessinez moi un plateau. Ce qui avait donné un presse citron, plus presse papier ( de journalistes )d’ailleurs…
le 15 juillet 2010 à 10 h 50 min
Ce n’est pas un problème qu’en France selon Luca Nichetto et Mauro Canfori qui a la double culture pourrait aussi nous éclairer…
Le Problème en Italie comme dit Luca Nichetto, » Personne en Italie me dit » Lucas C’est bien » « C’est que nous ne créons pas de réseau entre designers » et « l’influence des grand maîtres plane », inhibant beaucoup de jeunes designers….