• Qui, quoi, où…: quelques questions sur le design

    Par Alexandre Cocco.

    « Qui, quoi, où, quand, comment, combien, pourquoi ? » Autour de ces sept questions, considérées comme autant de points de vue sur l’objet, Christine Colin(1)  livre dans un ouvrage récemment paru aux éditions Flammarion la synthèse de trente années d’observation du design.

    Constatant que les artefacts qui nous entourent sont le résultat d’inspirations et de processus divers et croisés, et qu’aujourd’hui ni leur provenance géographique, ni leur « style », ni leur matériau ou leur mode de fabrication ne permettent de les classifier ou de les comprendre totalement, l’auteur imagine d’autres rapprochements possibles : des catégories transversales destinées non plus à cataloguer les objets, mais à en saisir les multiples influences.

    Un ouvrage coupé en deux

    Dans cette perspective, l’ouvrage est scindé en deux grandes parties, chacune étant structurée par les sept questions énoncées en introduction (qui, quoi, où…).

    La première, intitulée « Portfolio », est essentiellement iconographique. Elle regroupe près de 1400 photographies d’objets issus de la riche collection du Fonds National d’Art Contemporain, par proximité de sujets ou d’aspects. Chacune des questions principales y est illustrée d’un court texte de présentation, et de plusieurs pages d’images assez denses. Le choix de l’iconographie, évident pour certains thèmes et parfois plus ténu pour d’autres, rend la lecture agréable, l’œil allant d’un visuel à l’autre et tissant ses propres liens ou proximités. Par ailleurs, ces images sont quelquefois agrémentées de citations de designers, bien choisies, qui viennent illustrer chaque thématique.

    La seconde partie rassemble, quant à elle, divers textes précédemment édités, notamment dans des ouvrages appartenant à la collection « Design &… » qu’a dirigée Christine Colin de 1993 à 2007. Sans hiérarchie particulière, ces écrits explorent différents aspects des questions transversales (qui, quoi, où…) et en présentent une vision kaléidoscopique. C’est d’ailleurs là leur principal intérêt et, à travers eux, celui de l’ouvrage : chercher à saisir ce que recouvrent ces grandes thématiques, et en quoi elles sont essentielles à une bonne compréhension du design aujourd’hui. Autrement dit, qu’est-ce qui se cache derrière le qui, le quoi, le où, etc. ? (2)

    Assez inégaux, en taille comme en intérêt, ces textes permettent dans leur ensemble de déployer la réflexion dans plusieurs directions, tissant ainsi une trame globale plutôt cohérente. Cependant, leur mise en page, plus dense que celle de la première partie, ainsi qu’un changement de police de caractère et de type de papier (moins lisse), donne la curieuse impression d’un ouvrage coupé en deux, sans que le lecteur ne comprenne véritablement pourquoi. Ayant pour effet de reléguer la partie plus théorique et textuelle au second plan, cette scission paraît en effet curieuse dans un recueil dont la vocation est de fédérer plusieurs éléments – réflexions écrites ou visuelles – autour de questions fortes.

    Le livre de design a-t-il bien été « designé » ?

    Question(s) design déploie, on ne peut qu’en féliciter l’auteur, un discours riche et pertinent sur le design, et regorge d’exemples démontrant la vitalité de la discipline et la multiplicité de ses expressions.

    En tant que lecteur, ou même en tant qu’ « utilisateur » (puisque le livre parle de design, autorisons-nous cette analogie !), on regrettera par contre que son fonctionnement, non linéaire et proposant divers croisements et/ou rapprochements, soit peu explicite et peu expliqué. Il en résulte la sensation d’un contenu foisonnant, mais dont l’accès n’est pas immédiat. Par exemple, seul le sommaire, au travers de quelques lignes imprimées dans une police de caractère très petite, permet de comprendre ce que contiennent exactement les deux grandes parties et la source des éléments (visuels ou textes) qui y sont présentés. Il manquerait presque ainsi, à notre sens, une sorte de mode d’emploi qui permettrait de mieux saisir le découpage de ce livre, en explicitant par exemple le rapport qui existe entre ses deux différentes parties, ou le type de relation à rechercher entre les divers éléments qui y sont exposés.

    Par ailleurs, Question(s) design se voulant méthodologie, on aurait également pu s’attendre à un ou plusieurs croquis, tableaux, schémas ou fiches de synthèse, reprenant et résumant la méthode exposée et les problématiques qui lui sont associées. Ces éléments seraient en effet venus comme autant d’échos à la « boîte à outils pour observer la masse des objets modernes et contemporains et pour tenter de comprendre l’origine de leurs formes » que nous promet la préface.

    En conclusion, nous pourrions dire que les vraies qualités de l’ouvrage sont, nous l’aurons compris, de proposer une large et belle iconographie, mais aussi de lister précisément les questions majeures qui traversent le design aujourd’hui. Sa limite, par contre, est de parfois vouloir trop en dire, et de fragmenter un propos qui aurait pu, probablement, explorer davantage les croisements et fournir quelques clés méthodologiques plus explicites quant à la compréhension de la production actuelle. La méthode imaginée par l’auteur aurait ainsi, à titre d’exemple, certainement gagné à être mise en application à quelques reprises, afin d’en démontrer la pertinence.

    « Question(s) Design », par Christine Colin. Editeur: Flammarion.

    Cette critique est également parue sur le site nonfiction.fr.

    Notes:

    (1) Tout d’abord journaliste, puis directrice de la collection Design du Fond National d’Art contemporain, expert en design à la Direction Générale de la Création artistique au ministère de la Culture et de la Communication, Christine Colin a également dirigé la collection « Design & » de 1993 à 2007.

    (2) Par exemple, la question « Comment » se déploie en « Comment fabriquer ? », « Comment distribuer ? », « Comment communiquer ? », « Comment exposer ? Installer ? », « Comment organiser, cataloguer ? », « Comment consommer ? »…


    4 commentaires

    1. Prof Z dit:

      En France, les journalistes ont fait souvent plus progresser la critique de design que les universitaires et les professionnels. C’est ce qu’écrit Catherine Geel. Je ne crois pas au regard unique mais aux regards croisés. Le web + la presse+ les livres + les dialogues avec concepteurs, producteurs et distributeurs permettent d’avoir une vision transversale.
      Je n’oublie pas que le pavé de calques de Philippe Starck par Christine Colin est à l’origine de ma vocation et de ma passion pour le dessin et le dessein des designers.

    2. Prof Z dit:

      à ecouter jeundi 22 septembre sur France Culture de 19 à 20 h
      http://www.franceculture.com/emission-le-rendez-vous-emission-du-jeudi-22-juillet-avec-pierre-parat-christine-colin-et-la-session

    3. Prof Z dit:

      Beaucoup de jeunes designers sont des copycats de designers connus et ne comprennent pas, par manque de formation dans ce domaine, la dimension économique et capitalistique des entreprises de design. Celles ci évoluent dans une société de la communication et de l’image dont ils sont souvent des addicts des outils sans vraiment maîtriser les stratégies manageriales de ces autres entreprises. Il en résulte un grand désenchantement de ceux qui voulaient réenchanter le monde par l’objet et le role cathartistique des blogs et les stratégie de crownsourcing mise en place par ces entreprises pour récupérer cette intelligence presque gratuite. C’est pourquoi la grille d’analyse doit être adaptée à l’accélération de l’histoire et à l’individuation du designer.

    4. es dit:

      Complètement d’accord. Ce qui m’a attirée dans ce livre c’est cette initiative de croiser les théories et les pratiques, de présenter une analyse un peu plus transversale du design du 20e siècle.
      Mais à la lecture, il faut s’accrocher pour saisir les liens pensés par l’auteur…
      Je pense que c’est le design même du livre qui n’a pas été assez poussé. (sans compter plusieurs erreurs dans les légendes des images)
      Si on ne veut pas que le livre imprimé meure au profit du virtuel, il faudra trouver de nouvelles modalités de présentation sur papier…
      Dommage, je pense qu’il y avait plein de choses à faire avec le contenu dense et pertinent de Christine Colin.

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