L’objet en question(s): la collection “Sur les rivages” d’Amandine Chhor et Aïssa Logerot
La rubrique “L’objet en question(s)” présente des portraits d’objet ou de séries d’objets, par leurs créateurs: l’histoire de leur genèse, leurs contraintes, leurs enjeux…
Ce mois-ci, et pour inaugurer cette rubrique, nous sommes heureux d’évoquer la série “Sur les rivages”, conçue par Amandine Chhor et Aïssa Logerot au Cambodge, en partenariat avec des artisans locaux.
Pourriez-vous tout d’abord nous décrire votre projet en quelques mots?
Sur les rivages est un projet environnemental et solidaire, qui porte sur la revalorisation de l’artisanat de la jacinthe d’eau au Cambodge. Originaire du bassin amazonien, cette plante aquatique s’est répandue progressivement sur les cinq continents et, du fait de sa croissance très rapide, elle cause de nombreux problèmes environnementaux, sanitaires et économiques.
Depuis 2006, 35 femmes issues de familles pauvres du village de Prek Toal se sont regroupées au sein de la coopérative Saray pour reprendre l’artisanat traditionnel du tressage de la jacinthe d’eau et ainsi tirer profit de cette matière nocive et surabondante. Travaillant sur place pendant 4 mois, l’idée de ce projet était d’expérimenter la matière et les techniques de tressage pour trouver de nouvelles applications et aider les artisanes dans leur activité.
Comment ce projet vous a-t-il été confié?
Ce projet a été initié par Amandine Chhor, designer diplômée de l’Ensci Les Ateliers, qui a mis en place le projet et trouvé les partenaires. Par la suite, je l’ai rejointe (c’est Aïssa Logerot qui s’exprime, ndlr) et nous avons collaboré afin d’allier nos compétences, et grâce à l’obtention de bourses nous avons pu concrétiser ce projet et partir au Cambodge pour développer une gamme de produits issus de l’artisanat de la jacinthe d’eau.
Quels étaient, selon vous, les principales contraintes et les principaux enjeux de ce projet?
L’enjeu principal était de diversifier la production des objets issus de l’artisanat de la jacinthe d’eau, pour faciliter le développement de la coopérative des artisanes et permettre ainsi une meilleure vente de leurs produits. Plus on vend d’objets, plus on utilise la jacinthe d’eau.
Il fallait bien sûr prendre en compte le coût de fabrication de chaque pièce pour permettre un prix de vente adapté au marché local. Il y avait aussi des contraintes techniques, que ce soit en termes d’outillage ou de matériaux pour la fabrication des contre-formes. Le Cambodge est un pays en voie de développement et il fallait penser les objets en fonction des moyens disponibles sur place.
La situation géographique n’était pas évidente non plus puisque les artisanes vivent et travaillent sur un village flottant aux abords du lac Tonlé Sap, à 1h30 de Siem Reap. Nous devions donc effectuer de nombreux aller-retour pour produire les moules et les structures en métal qui ne pouvaient être pas fabriqués au village. Nous n’avions, par contre, pas de contraintes ergonomiques, si ce n’est de produire des paniers empilables pour faciliter le transport et le stockage des pièces, le mobilier est quant à lui produit sur commande.
Pourquoi l’objet a-t-il, au final, cette forme et ce ou ces matériaux?
Pour ce projet, nous sommes partis du matériau, de ses contraintes et de ses qualités intrinsèques. Il s’agissait de trouver un emploi et un usage adéquat pour cette matière organique. La mise en forme de ce matériau s’effectue principalement par une technique de recouvrement, c’est-à-dire qu’il faut une forme démoulable ou une structure pour permettre le tressage de la jacinthe d’eau (mis à part la conception des nattes qui s’effectue directement au sol et à plat).
Quel était votre concept ou votre idée de départ pour ce projet?
Rien n’a été décidé ni même dessiné au préalable. Pour la conception des objets, nous avons attendu d’être sur place pour penser les objets dans leur environnement. Nous sommes d’abord passés par une première phase d’analyse du contexte et d’expérimentation de la matière, puis de sa mise en forme. Nous avons aussi pris connaissance des produits existants, des lieux de vente (marchés, boutiques, ateliers), du transport et des contraintes de stockage.
C’est seulement après tout cela que nous avons commencé à dessiner et à penser les objets afin qu’ils puissent répondre aux mieux aux différentes attentes et objectifs que nous nous étions fixés, à savoir préserver, sensibiliser, revaloriser et développer.
Qui étaient vos interlocuteurs dans l’entreprise, et avec qui avez-vous du collaborer?
Nous avons collaboré avec Osmose, une association franco-khmer qui s’occupe de la préservation du lac Tonlé Sap, et notamment de la gestion de la coopérative Saray. Nous avons eu des échanges privilégiés avec les femmes artisanes pour être au cœur de la conception mais aussi pour comprendre leur mode de vie et mieux apprendre à les connaître. Nous avons aussi souhaité tisser des liens entre différents artisanats de la région, et avons collaboré avec des forgerons et des tisserandes, ce qui a enrichi le projet.
Quelles sont les difficultés que vous avez éventuellement rencontrées sur ce projet, et comment les avez-vous contournées?
Au départ, nous avons éprouvé des difficultés dans la communication avec les artisanes, puisqu’elles ne parlent pas l’anglais. D’origine cambodgienne, Amandine avait quelques notions en khmer, mais c’est essentiellement par le dessin que nous communiquions. Par la suite, avec plus de vocabulaire et de pratique, les échanges se sont fait plus facilement.
Parce que la conception des moules étaient parfois trop complexe compte-tenu des moyens, nous avons décidé en parallèle de travailler à partir de structures en fer forgé, et c’est de là qu’est née l’idée d’une gamme de mobilier.
Rétrospectivement, changeriez-vous aujourd’hui quelque chose à votre projet?
Ce projet est inscrit dans une période qui tient compte d’une longue phase d’analyse, de recherches et de développement, et d’une phase de fabrication des premiers et seconds prototypes.
Globalement nous sommes très satisfaits de l’ensemble du projet. Nous avons appris après notre retour en France que les objets issus de notre collaboration se vendent bien sur place, et désormais les artisanes cherchent à décliner elles-mêmes les modèles, pour créer de nouvelles pièces.
Actuellement nous sommes toujours en lien avec Osmose pour suivre l’évolution des produits. Nous espérons poursuivre cette collaboration sur le long terme.
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Quelques images:
Expérimentations et apprentissage des techniques de tressage de la jacinthe d’eau.
Fabrication d’un moule en contre-plaqué et tôle de zinc.
Modélisation 3D des objets.
Image 3D de la structure en fil d’acier du fauteuil à bascule.
Image 3D de la structure en fil d’acier de la lampe à poser.
Structures en acier réalisées par les artisans forgerons de l’Iron Workshop.
Artisane à l’œuvre sur le tressage de la deuxième paroi de la chaise.
Vue de détail sur le tressage de la jacinthe d’eau.
Réalisation de la première couche extérieure en jacinthe d’eau du fauteuil à bascule.
Photo des objets finis: coussin.
Photo des objets finis: chaise.
Photo des objets finis: fauteuil à bascule.
Pour en savoir plus sur le travail de ces deux designers:
www.amandinechhor.com
www.aissalogerot.com
le 19 janvier 2011 à 17 h 51 min
…. et l’association GoodPlanet fondée par Yann Arthus-Bertrand, a permis à ses concepteurs de devenir lauréats 2009 du prix « coup de cœur » de la Mairie de Paris, catégorie « Jeunes aventuriers »…
le 19 janvier 2011 à 20 h 27 min
[...] *La Revue du Design [...]
le 20 janvier 2011 à 21 h 19 min
Enfin une pensée du design ouverte, ou l’objet n’est plus une fin en soi, mais prétexte à…
Brillant. Une leçon d’humilité, et une lueur d’espoir: peut-être un jour arrêterons nous de penser le design comme un moyen de réinventer la brouette.
le 20 janvier 2011 à 22 h 13 min
Bonjour Geoffrey,
Merci pour votre commentaire, dont nous partageons totalement l’enthousiasme et la pertinence !!!
le 21 janvier 2011 à 8 h 49 min
Ce qui est interessant, c’est de voir toutes ces femmes travailler assises sur le sol pour fabriquer des sièges surélevés « occidentaux ».
Il ne s’agit donc pas de satisfaire un besoin culturel artisanal local, mais de travailler pour « l’export ». Ce qui serait honnête de connaître, c’est les précisions sur les conditions d’exportation et les clients ciblés.
Une autre remarque: ces renforts métalliques, il faut certainement les faire venir. Au niveau cout de production, ce fer représente quelle proportion? Et dans quelles conditions est garantie la fourniture de ce fer.
J’approuve, totalement les grands discours humanistes. Mais je me pose la question de savoir si quelqu’un en a fait son fond de commerce et si dans les faits rien n’a changé.
le 21 janvier 2011 à 9 h 54 min
Bonjour Alain,
Comme le précise Aïssa Logerot dans l’interview, ces meubles et accessoires sont aussi destinés à un marché local
le 21 janvier 2011 à 23 h 39 min
Si j’ai bien lu, il y a d’abord une « une longue phase d’analyse, de recherche et de développement » et puis ils ont décidé de faire des structures en fer forgé parce que les protos étaient trop difficile. Et que du mobilier en fer forgé, c’était plus facile.
C’est pour cela que ce mobilier en fer forgé et repose sur du parquet en bois ( comme souvent dans le coin) ou l’on marche nu pied.
Et question recyclage cela donne quoi le fer forgé dans le coin?
le 22 janvier 2011 à 9 h 01 min
alain remarquera qu’il y a des chaises en polycarbonate sur les photos Aurait il preferé cela
http://picasaweb.google.com/lh/photo/etSrodDXOa0mDBe8GrGasQ
le 22 janvier 2011 à 16 h 39 min
Tu veux dire les 4 chaises dans le bureau du designer?
le 25 janvier 2011 à 19 h 16 min
Juste par souci de précision, parce que j’ai moi-même été au Cambodge en mars pour découvrir le pays de ma famille, et que j’ai eu la chance de me rendre à Prek Toal:
Les khmers utilisent beaucoup, beaucoup de chaises. Souvent en plastique; la moindre gargote en dispose; souvent aussi ce sont de lourdes chaises en bois sculpté de style chinois – pas très couleur locale… Aucun doute que des débouchés existent autant sur place qu’en Occident.
La jacinthe d’eau paralyse le trafic fluvial en se développant. Les pêcheurs doivent faire face à la raréfaction de leurs ressources en poisson, et la menace d’un barrage sur le Mékong grandit, qui bouleversera totalement les modes de vie des habitants du lac.
Ces femmes sont très démunies et n’auraient pas les moyens de s’équiper de postes de travail. Evidememnt, qu’elles travaillent au sol. Et je ne vous parle pas des toilettes rudimentaires, de l’absence de moustiquaires contre la malaria…
Qu’elles puissent transformer une plante envahissante en ressource me paraît déjà formidable, porteur d’espoir et symboliquement plein de sens; pour avoir pu échanger un peu avec certaines, elles en prennent toute la mesure.
Elles ont besoin d’être encouragées, et l’idée qu’elles s’emparent et s’approprient déjà les techniques transmises, pour créer à leur tour, débouchera certainement sur un regain de dynamisme. Elles le méritent.
C’est en cela que je trouve ce projet réussi et touchant.
le 25 janvier 2011 à 22 h 20 min
Merci Akä pour votre précieux témoignage, qui apporte des précisions importantes sur le contexte de ce projet si particulier…
le 26 janvier 2011 à 20 h 54 min
@ Aka.
Il y des causes admirables. Des injustices à combattre.
Certains, ont pris l’habitude, hélas de crier: « Regardez combien ma cause est juste; cela vous fait obligation de m’admirer et louer ma réponse ».
Non! Une cause admirable, n’implique pas que toutes les réponses soient, par automatisme, bonne.
Une cause admirable implique de plus grands devoirs et respects. Et non pas, comme souvent, une plus grande dilettante prétentieuse. La marque d’une certaine école.
Pour ce produit, je ne suis pas convaincu que le choix du fer soit un bon choix.
le 31 janvier 2011 à 17 h 23 min
“Sur les rivages” est un projet qui se situe véritablement entre le design et l’artisanat, et cela ne nous étonne pas que certaines personnes puissent se poser des questions sur le fond du projet ou même son devenir.
Cela nous a pris plus d’un an pour monter ce projet, et étant donné que c’est un projet solidaire, nous n’en tirons aucun profit financier, et nous ne le souhaitons pas d’ailleurs. Nous l’avons fait pour aider comme nous pouvons la coopérative les artisanes, et bien sûr pour vivre une expérience riche et inestimable.
Pour répondre brièvement à la question de l’emploi du fer pour le mobilier, il faut savoir que nous avons travaillé avec l’Iron Workshop, un atelier/coopérative qui permet à des hommes issus de milieux défavorisés de gagner leur vie. Devant la qualité d’exécution de leurs réalisations, et dans la démarche globale de ce projet, il nous a paru évident de concevoir cette nouvelle collaboration, d’autant plus que l’emploi fer est moins cher que celui du bois. Et pour ce qui est du recyclage, lors de la fin de vie d’un objet, il est inutile de préciser que dans un pays comme le Cambodge, rien ne se perd, le matériau est toujours réutilisé pour de nouvelles choses.
Par ailleurs, ce mobilier n’a pas été développé pour l’exportation mais pour le marché local, les nombreux hôtels de Siem Reap ou bien les restaurants et cafés de la ville, voire des particuliers. Il n’est pas destiné aux personnes qui vivent sur le village flottant, dont l’espace est très limité.
Ce projet n’a certainement pas la prétention d’avoir changé le monde, il est d’ailleurs toujours en cours de développement en vue d’améliorer les produits. Nous n’obligeons par ailleurs personne à nous “admirer”, et nous accueillons avec plaisir les remarques et critiques lorsqu’elles sont pertinentes.
Voilà les quelques petites précisions que nous pouvons vous apporter à titre personnel…
Aïssa
le 31 janvier 2011 à 20 h 37 min
Qui étaient les locomotives de « Iron Workshop »?
le 31 janvier 2011 à 20 h 54 min
Les « locomotives » ?
le 31 janvier 2011 à 21 h 43 min
Ceux qui entrainent ce « Iron Worshop »? Un autre projet comparable?
le 1 février 2011 à 20 h 32 min
Question pertinence, je ne me souviens pas d’arguments justifiant le fer pour ces mobiliers, si ce n’est qu’il y avait un « iron workshop » à coté.
le 17 février 2011 à 14 h 48 min
Toute initiative visant à répondre à quelques problématiques d’un pays aussi pauvre que le Cambodge est plus que louable.
C’est grâce à ce type de projets que l’on voit que le design veut dire tellement plus qu’il n’a l’air, et comme quoi il peut servir à quelque chose.
Merci à eux !
le 18 février 2011 à 18 h 50 min
@Alain,
Personne ne t’oblige à admirer. Mais question critique, on a vu plus pertinent. Le fer se recycle plutôt bien. On en trouve partout très facilement (d’ici à ce que la fourniture de fer à béton ne soit plus garantie pour produire quelques chaises, il y aura quelques années qui passeront). Personne ne peut concevoir un objet 100% parfait, qui respecte la culture, l’environnement, qui réinsère socialement, qui soit beau, fonctionnel et solide, qui soit vendable, facile à transporter, etc.
Si tu as des griefs contre une certaine école, exprime les clairement, plutôt que de dénigrer tout ce qui en sort. Sinon, tu risques de ne plus être objectif, ce qui évidemment ne serait pas très pro de ta part.