R3ilab, Tech & Design: vers une réinvention industrielle française
Notre contributrice Elodie Palasse-Leroux a suivi le développement du réseau R3iLab, s’attachant notamment aux projets des binômes industriel-designer du programme Tech & Design. Le fruit des collaborations était dévoilé dans le cadre du précédent salon Maison&Objet, sur Now! design à vivre. Chargée de l’animation de la conférence qui s’y est tenue en parallèle, la journaliste a préalablement rencontré les protagonistes du projet.
La Revue du Design vous propose une incursion, en plusieurs volets, au cœur du Réseau de l’Innovation Immatérielle pour l’Industrie: une introduction au projet (cet article), qui sera suivie d’interviews d’Isabelle de Bussac, consultante en stratégie, puis des binômes Mathilde Brétillot/Guille, Félicie Bajard/Beyrand et Sam Baron/Peltex.
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R3iLab: l’acronyme semble s’être échappé d’un film de science-fiction. Pourtant, rien que de plus concret que ce Réseau de l’Innovation Immatérielle pour l’Industrie (“piloté par des chefs d’entreprise pour des chefs d’entreprise”): soutenus par les Pouvoirs publics (à hauteur de 1,4 millions d’euros pour 2010-2011), ses cinq programmes insufflent un air de renouveau et de défi dans le paysage industriel français.
Une initiative opérationnelle et d’envergure, puisque le réseau compte d’ores et déjà plus de 400 entreprises adhérentes. Tech & Design, l’un des programmes en question, avance trois objectifs: stimuler l’innovation, renforcer la collaboration entre industrie et design, tout en donnant des orientations. Une formule qui a précédemment séduit Noé Duchaufour-Lawrance, Matali Crasset ou Frédéric Ruyant.
Les prototypes nés de la nouvelle vague Tech & Design (Mathieu Lehanneur, Christophe Pillet, Mathilde Brétillot, Sam Baron, Patrick Norguet ou encore Félicie Bajard y ont participé) ont été dévoilés à l’occasion de la dernière édition de Maison&Objet: amorce d’aventures qui pourraient un jour faire figure d’exemple dans le paysage industriel français.
Des objets du 3e type
La scénographie (extravagantes proportions du hall, obscurité trouée de faisceaux lumineux pointant quelques détails) accentuait la tonalité mystérieuse de l’exposition. A quelques pas des objets emblématiques des frères Bouroullec, créateurs Now! design à vivre 2011, ces prototypes racontaient d’étonnantes histoires.
Celle, par exemple, d’un fil de lin soudain associé au vêtement d’hiver, et de surcroît technique (Christophe Pillet et Safilin); celle d’une maille-chaussette, transmuée en jouets qui sont autant de petites pièces de mobilier, ou vice-versa (Mathilde Brétillot et Guille/Le Collégien). La rencontre du cuir et de la porcelaine, reliés par un motif commun, d’une inouïe délicatesse, mais conçus pour être utilisés en extérieur, objets de luxe devenus nomades (Félicie Bajard et Beyrand, pour la Manufacture des Rigoles). Déplacées au dehors elles aussi, les délicates broderies (savoir-faire ancestral, geste rare) ornant des pièces de mobilier outdoor, affranchissant celui-ci de sa banalité pratique, du tout-plastique, du sans-risque.
Et d’autres encore, qui ont en commun ce petit air de jamais-vu, un détournement de fonction qui ose une incursion dans le champ des possibles, tout en restant ancré dans la réalité du marché.
Car il ne s’agit certainement pas de “créer un objet insolite pour faire le buzz sur Internet”, insiste Isabelle de Bussac, chargée de guider et d’épauler les industriels dans leur politique de stratégie. Tech & Design propose de rapprocher industriels et designers autour d’un projet précis et viable: à partir du savoir-faire et des moyens techniques de l’entreprise concernée, chaque créateur a relevé le défi de concevoir un produit innovant, tourné vers un nouveau marché, abordant de nouveaux champs d’usages.
Dès le départ, chaque binôme ainsi formé bénéficie d’un soutien dans l’orientation stratégique, afin d’optimiser les chances d’aboutissement de chaque projet. Pour résumer, il s’agit de sortir l’industrie de son cadre habituel, mais en tirant partie de son patrimoine, de son histoire, de ses outils et savoir-faire propres. Le design (de l’identité visuelle au design produit) endosse le rôle de vecteur et de faire-valoir de ce patrimoine industriel.
Ainsi donc, il ne s’agit pas d’un appel à une nouvelle révolution industrielle, mais plutôt d’initier la “réinvention” industrielle: le titre s’est imposé de lui-même quant il s’est agi de condenser, en quelques mots, le projet pourtant si riche du programme chapeauté par le R3iLab.
Le design, grand absent des entreprises françaises?
Officiellement lancé en septembre 2010 par Christian Estrosi, ministre chargé de l’Industrie, le R3iLab est né du rapprochement entre le R2ith (“Réseau Innovation Industrie Textile Habillement”, qui compte à son actif le lancement de plus de 20 programmes à “vocation marché” depuis 2003) et le prestigieux IFM, l’Institut Français de la Mode.
A la tête du R3iLab, deux personnalités emblématiques: Elisabeth Ducottet(1), PDG du groupe Thuasne, leader européen du textile médical, et Nelly Rodi président aux destinées du réseau. Particulièrement engagée dans le projet, la directrice du bureau de conseil en innovation et création NellyRodi SA assure également la présidence pour la région Ile-de-France.
La mission du réseau? “Proposer aux acteurs économiques et industries de la création un arsenal d’actions concrètes centrées sur la valeur ajoutée de l’immatériel pour l’industrie. (…) Le “i” supplémentaire de l’immatériel replace le consommateur au coeur des préoccupations des industries créatives. Par l’intégration des dimensions de marque, de design, de services, de process, l’immatériel offre aux entreprises des opportunités stratégiques de créer et de recréer de la“ valeur d’innovation”, au sens le plus large du terme.”
Une action nécessaire, si on s’en réfère aux résultats du rapport sur l’Economie du Design(2), réalisé à la demande du ministère de l’Economie de l’Industrie et de l’Emploi (DGCIS) par L’Agence pour la promotion de la création industrielle (APCI), la Cité du design et l’IFM en 2010: le taux d’utilisation du design au sein des entreprises françaises, atteignant difficilement 40%, est parmi les plus faibles d’Europe.
“En design, la France est un peu frileuse”(3): la petite phrase lâchée par Inga Sempé fin janvier, tandis que débutait la grand messe Maison&Objet, épingle une certaine lenteur de la prise de conscience des entreprises. Mais l’aide récente du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie pourrait s’avérer incitatrice. Pour Elizabeth Ducottet, “le clair soutien des pouvoirs publics (et de la distribution) pour l’immatériel et le design” est à considérer comme un “signal fort”. “Le design est partout, les entreprises ne peuvent pas se contenter de l’innovation purement technologique […]. Il faut désormais l’inscrire en amont de la conception des produits.” Un précepte doctement appliqué par les binômes du programme Tech & Design.
Elodie Palasse-Leroux, journaliste, est également rédactrice de Sleek design.
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Quelques vues de l’exposition:
Photos © droits réservés IFM_PARIS.
Vous trouverez davantage de photos de l’exposition dans la galerie Flickr de l’IFM.
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Notes:
(1) Membre du Conseil général de la Banque de France, membre élu de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP) et du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Elisabeth Ducottet est également Administrateur du Lieu du Design (CCIP), de l’IFM (Institut Français de la Mode), de l’Ecole des hautes études commerciales (HEC), Président du Conseil d’Orientation de l’ESIV (Ecole supérieure des industries du vêtement – CCIP), et Administrateur de l’Ecole de la 2ème Chance – EC2 (CCIP92).
(2) L’intégralité du rapport sur l’Economie du design (septembre 2010) est à découvrir ici.
(3) Inga Sempé, interviewée dans Rue89 le 21 janvier
le 18 février 2011 à 11 h 25 min
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