“Album”: une exposition monographique de Ronan et Erwan Bouroullec
Elus créateurs de l’année lors du précédent salon Now Design à vivre, Ronan et Erwan Bouroullec poursuivent avec une exposition monographique – la première en France qui leur est consacrée – à Bordeaux, dans les murs du centre d’architecture Arc en Rêve. Présentée jusqu’au 27 mars prochain dans les 400 m2 de la grande galerie, celle-ci étonne puisqu’elle principalement composée d’images: dessins d’inspiration, croquis, esquisses de maquettes, photos d’archives…
Une “mise à plat”
Intimiste, la scénographie propose près de 800 documents, qu’elle organise en six salles thématiques(1). Qu’il s’agisse de croquis de recherche, de photos, de documents issus de projets industriels… tous sont volontairement présentés d’une manière uniforme et homogène: sous-verre, dans des cadres en bois clair de différentes tailles, qui viennent s’accumuler de manière orthonormée sur de grands murs blancs.
Aucun objet n’est donc exposé, à l’exception de quelques chaises Steelwood (éditées par Magis) qui s’égrènent le long du parcours et permettent au public de s’asseoir. Quelques films ponctuent également le parcours, présentant notamment les créateurs “in vivo”, dans leur atelier de la rue du Buisson Saint Louis à Paris.
En optant pour ce dispositif kaléidoscopique, présentant pêle-mêle des visuels de divers meubles, objets, luminaires, produits industriels ou micro-architectures conçus au cours des dernières années, l’intention des designers était de mettre “à plat” l’ensemble de leur travail, afin de transcrire au plus juste ce qui fait la multiplicité de leur activité.
On se rappelle que, dans un autre style, Philippe Starck avait lui aussi fait il y a quelques années le pari d’une exposition de design ne montrant aucun objet(2). L’ambition, ici, est toute autre: ni narcissique ni cynique, elle permet de pénétrer en douceur le travail de conception des deux frères, et de mieux comprendre la place centrale qu’ils accordent au dessin et à l’expérimentation.
Le design: une activité de recherche, multiple, foisonnante
Plus qu’une coquetterie scénographique, la “mise à plat” évoquée précédemment présente également, en filigrane, la perception que les Bouroullec ont du design: celle d’un processus en mouvement constant, misant sur le foisonnement et la multiplicité plutôt que sur une “hiérarchisation” trop stricte.
En rendant accessible au grand public une importante quantité de dessins et de recherches n’ayant jamais abouti à un produit commercialisé, l’exposition rappelle également que le design est une activité de recherche. Elle insiste enfin sur la remise en question constante que nécessite la pratique de cette discipline: être capable de tout remettre à plat, de considérer avec la même fraicheur d’esprit un prototype et un croquis, une image d’inspiration et un plan technique. Voilà ce à quoi nous invitent – à juste titre – les designers.
“Nous sommes designers, l’énergie principale investie dans notre travail reste liée aux objets. Autour de ces derniers se greffent un certain nombre de disciplines : le dessin est très important pour nous, de même que la photographie, la maquette, le film. Chacune de ces partitions du projet est conçue comme une discipline en tant que telle et ne sont pas simplement des réalisations au service de l’objet. La grande frustration de cette discipline qu’est le design, c’est le temps entre le point de départ et la réalité physique d’un objet qui représente une lourde gestation, longue parfois de plusieurs années. La possibilité de développer une attitude créative plus directe avec la photo, le dessin, la maquette qui n’est pas filtrée par des mois de recherche, l’intervention d’ingénieurs et des gens de marketing, est importante pour nous, c’est peut-être cela qui nous particularise. Dans le cas de l’exposition ALBUM ce qui est singulier, c’est de montrer ces manières comme un tout, sans hiérarchie, l’important étant les informations et les découvertes que ces pratiques variées nous procurent.”
Ronan et Erwan Bouroullec.
>>> Voir les autres articles que nous avons précédemment consacré aux travaux des frères Bouroullec.
>>> Nous vous conseillons également la lecture de l’article que Brigitte Fitoussi a consacré à cette exposition sur son blog.
–
Notes:
(1) Les thématiques des six salles sont: Travaux choisis, Dessins atmosphériques, Les carnets, La fabrication, L’architecture, Le quotidien.
(2) Dans le cadre de l’exposition que lui avait consacré le Centre Pompidou en 2003.
Ce texte reprend, en partie, le contenu d’un article paru dans le magazine d’A numéro 197.
–
Vues de l’exposition:
Photos © studio Bouroullec et Vincent Monthiers.
le 23 février 2011 à 17 h 20 min
« la perception que les Bouroullec ont du design : celle d’un processus en MOUVEMENT CONSTANT, misant sur le FOISONNEMENT et la MULTIPLICITE plutôt que sur une “hiérarchisation” trop stricte »
> Alors que pour moi le résultat de cette scénographie est plutôt plat, immobile et aseptisé. Encore une fois le paradoxe des Bouroullec… ?
le 24 février 2011 à 8 h 24 min
Encore une fois de grands discours pour alimenter le verbe et l’écrit.Pour donner satisfactions aux relais médias qui n’ont pas de réelle connaissance des charges de nos métiers. Et pour qui le « message » doit être asséché.
Mais finalement des réponses pauvres au niveau des formes, des couleurs et de la créativité…. C’est plus le « paraître design » que « l’être design ».
le 24 février 2011 à 18 h 41 min
Bonjour Es,
Je comprends votre remarque et je crois même que c’est une critique à laquelle les Bouroullec doivent être habitués (l’aspect « froid » et « aseptisé »). Pour ma part, je trouve que la scénographie réussi plutôt bien à se mettre en retrait pour que l’attention focalise sur ce qu’elle cherche à montrer: les objets en cours d’élaboration. Après, c’est vrai que l’on est sensible ou non à ce type d’esthétique et de formes…
Bonjour Alain,
A lire votre commentaire, ainsi que d’autres que vous avez publiés sur ce site, je n’ai pas l’impression que ce soit tant les « grands discours » que les discours tout court qui vous dérangent… Si vous le souhaitez, n’hésitez pas à partager avec nous ce design qui est selon vous plus riche au niveau des formes, des couleurs et de la créativité.
AC
le 24 février 2011 à 20 h 57 min
« Développer une attitude créative »!!!Ce serait cela le design? Juste une « attitude »? Moi qui pensait que c’était de créer des produits et les assumer en homme responsable!
Est-ce que j’ai bien compris: » qu’il est préférable que ce ne soit pas filtré par les ingénieurs ni le marketing » ?
Un travail qui ne serait, finalement, exposé à aucune critique.
Je ne pense pas que cette vision soit très originale, très particulière.
Les personnes qui ont une simple attitude, font seulement ce qu’ils ont veulent, et s’organisent pour ne pas avoir la moindre critique, c’est vraiment courant.
Mais j’ai appris quelques chose. Pour ne nombreux « designers », le design, ce n’est qu’une « attitude créative ». Je pense que le mot est juste. Très juste.
le 24 février 2011 à 21 h 33 min
Je pense:
1. qu’il ne faut pas assimiler le processus au résultat (le terme d’ »attitude » renvoie beaucoup plus, dans la citation que vous évoquez, à l’acte de conception plutôt qu’au produit qui en découle. Il n’est pas à confondre avec « posture ».).
2. que personne ne dit, surtout pas ici, que le design ne doivent être soumis à aucune critique.
AC
le 24 février 2011 à 23 h 14 min
Trop de designers sont « dans l’attitude du designer » et pas assez dans « les devoirs du designers ». Mais n’est-ce pas notre monde d’aujourd’hui!
le 25 février 2011 à 10 h 14 min
@ La revue du design :
Ce n’est pas la typologie de formes ni leur esthétique qui me gêne (d’une part j’y adhère plutôt, et d’autre part cela relève du goût et il n’y a pas de vérité en la matière).
Je trouve seulement que cette scénographie n’atteint pas son but de montrer le chantier de la création. Il aurait suffi qu’elle soit juste un peu plus vivante et mette moins à distance le spectateur… sans pour autant remettre en question le parti-pris épuré. J’ai l’impression que c’est un choix de dernière minute, un peu par défaut.
Par exemple, pourquoi mettre toutes les esquisses sous verre ? Est-ce motivé ou juste parce que le cadre était livré comme ça ?
le 25 février 2011 à 10 h 57 min
@ Alain: c’est diablement pas-faux!
@ LRDD: c’est pas-faux non plus…
Tout est dans l’ambiguïté des mots. J’imagine qu’Alain est designer industriel. Les Bouroullec (s) ne le sont pas, c’est évident. Ce n’est pas une tare pour autant, mais c’est aussi normal que ce type de mise en scène, de publicité, de promotion, agace les acteurs du design industriel « normaux », « au quotidien », « anonymes » (comme moi) qui « luttent » (n’exagérons rien, en ces temps où des enfants meurent pour gagner leur liberté) pour se faire une place dans un monde industriel qui les voit parfois par le prisme déformant de ce type de manifestations.
Ce n’est pas de la jalousie, plutôt de l’agacement, et une certaine forme de frustration liée à la difficulté d’exister dans un système qui fait la part belle aux people. (cf le très bon article de Nicolas Minvielle: Les stars du design: quel avenir et quel potentiel?)
Encore une fois, tout n’est pas bon à prendre chez les frères B. Il y a néanmoins de bonnes idées, de la poésie, parfois. A prendre avec du recul, certainement.