Interview: Jean-Baptiste Sibertin Blanc
Nous sommes aujourd’hui heureux de présenter l’échange que nous avons eu avec Jean-Baptiste Sibertin Blanc, diplômé de l’Ensci en 1987, aujourd’hui designer indépendant et directeur de la création de la maison Daum.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre formation et votre parcours professionnel?
Entre l’ébéniste marqueteur que j’ai été (Ecole Boulle 1979) et le designer que je suis devenu (Ensci 1987), ce sont deux formations antinomiques qui m’ont aidé à construire un parcours singulier entre design industriel et design artisanal.
Ce que j’entends par “design artisanal”, c’est qu’un certain nombre de métiers traditionnels auxquels je suis attaché nécessitent pour exister, au XXIe siècle, la rigueur d’analyse et de propositions propres au design industriel. J’ai ainsi participé, depuis 15 ans, à un certain nombre de projets, en France et à l’étranger, qui consistaient à repenser des produits pour des métiers dont les réalités économiques sont fragiles.
Ces deux formations, l’une plutôt tournée vers le passé et la seconde dédiée à penser le monde de demain, m’apportent aujourd’hui un regard croisé entre l’art et le design. Cette route me fait découvrir au travers des produits et des métiers des logiques intéressantes et rencontrer des gens passionnants.
Ces deux formations n’ont pas été la ligne droite que l’on peut imaginer, mais c’est sans doute l’une des raisons qui structure cette envie de voir bouger le monde avec énergie mais aussi un certain recul.
Sur quel(s) sujet(s) travaillez-vous en ce moment?
- La préparation d’une exposition intitulée “Un regard d’obsidienne”, qui sera présentée fin janvier 2011 à la Galerie Pierre Alain Challier. C’est un projet avec 13 créateurs d’horizons divers, à qui j’ai demandé d’intégrer l’obsidienne, une pierre vielle de 4 millions d’années, dans un projet qui sera édité à 8 exemplaires.
- Le catalogue 2012 d’une grande marque française dédié au parfum d’intérieur.
- Une lampe solaire portable dédiée au marché africain, et plus particulièrement aux enfants dont seulement 30 % du continent dispose de l’électricité, et de ce fait de la lumière.
- Les collections 2011 de la cristallerie Daum dont je suis le directeur de la création.
Combien de personnes compte votre agence?
Mon agence, qui fêtera ses 20 ans en 2011, est une structure légère qui travaille sur des missions ponctuelles avec des assistants aux profils et aux ressources complémentaires.
Quelle est votre méthode de travail habituelle?
Je ne suis pas certain d’avoir une méthode de travail… Je dessine beaucoup autour des projets. Je vis dans un monde qui se nourrit de deux univers: la sculpture et la fonctionnalité des choses.
J’essaye de ne pas avoir une écriture monotone déclinée au fil des projets, mais de tout remettre en question à chaque projet. Je suis assez préoccupé par le fait que nous sommes dans une société excessivement matérialiste, mais je n’ai pas de philosophie écologique particulière. Cela nous oblige à penser au mieux ce qui est susceptible de rester palpable, tangible, narratif, aimable dans un monde où nous nous détachons peu à peu de la matérialité des choses.
Je crois profondément que les choses ont le devoir de s’adapter à l’évolution de nos perceptions. Le design est au cœur d’une société en mouvement et chaque projet est une équation; chaque projet est l’assemblage d’énigmes multiples résolues… Momentanément.
Fréquentez-vous les blogs et sites Internet consacrés au design, et si oui lesquels?
Très peu pour ne pas dire pas du tout.
Y a-t-il un ou plusieurs designers, ou créateurs, qui vous inspirent au quotidien?
Je n’ai pas de mentors, mais je crois être fidèle à une culture du design à l’italienne, faites de curiosités multiples, d’un attachement évident à la relation que nous entretenons avec les choses. Je pense à Andrea Branzi (La casa Calda), à Achille Castiglioni, à Ezio Manzini, à Renzo Piano…
S’il y avait une chose à changer dans le design?
La dimension de l’ego des designers qui est parfois inversement proportionnelle à la qualité de leurs propositions. Plus sérieusement, le design s’est affranchi d’une réflexion culturelle et intellectuelle qui fait défaut dans le paysage industriel français.
Quelle est la commande que vous aimeriez vous voire confier?
C’est une question difficile. J’ai la chance, en parallèle à mon activité pour Daum, de choisir les projets sur lesquels je travaille, de trouver du sens aux projets que je mets en œuvre avant de les accepter. Lorsque je suis allé pendant plusieurs années former des artisans à la création de nouveaux modèles afin de leur donner confiance dans le travail de conception qu’ils étaient capables de mettre en œuvre, c’était en soi un projet très valorisant. Les projets que j’aimerais me voir confier sont des projets qui mettent l’homme au cœur du projet avant le projet économique, même si les deux sont inextricablement liés.
De votre point de vue, le métier de designer est-il enviable aujourd’hui?
C’est un métier extraordinaire qui a la noble et modeste tache de penser et de voir évoluer notre environnement quotidien, quelle que soit l’échelle ou la finalité du projet auquel on travaille. C’est un métier d’une incroyable richesse parce que l’homme est au centre du sujet, mais il fait appel à des mondes divers, parmi lesquels l’évolution des techniques, les codes de la matière, la production de signes et l’économie sont les moyens de sa mise en œuvre.
Pour finir, un livre, un site Internet, un film, une découverte récente… que vous auriez envie de partager avec nous?
Un Court traite du design vient de paraitre aux PUF, écrit par Stéphane Vial. Il souligne dans son introduction que le mot design vient du latin designare et signifie étymologiquement “marquer d’un signe”, ce qui nous rappelle à notre devoir essentiel. Puis, c’est une analyse éclairée d’un œil nouveau sur une des contradictions a laquelle le design a été longtemps confronté: le design naît de racines socialistes visant à créer un monde meilleur, pour devenir au début du XXe siècle le moteur d’un capitalisme industriel naissant.
Dans la Postface, l’auteur ordonne ses principes dans un style géométrique où les axiomes suivent les définitions et précèdent les propositions au travers de quelques démonstrations … “Le design est un processus. Il a pour finalité de créer des experiences-à-vivre en transformant les usages par un effet de design.” Ce court traité part d’un constat sur un métier qui n’a jamais produit de théorie. A lire et à méditer…
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Quelques projets de Jean-Baptiste Sibertin Blanc:
Clear Line, collection de mobilier en résine laquée pour Leblon Delienne, 2009.
Collection Feelings, carrelage mural en verre flotté réalisé pour Saint-Gobain, en collaboration avec Patrick Nadeau. Trophée du design Batimat 2004, Janus de l’Industrie 2005, Label VIA 2006.
Cool, carafe en faïence pour Ligne Roset. Label VIA 2002.
Vase Cosmos, pâte de cristal, édition limitée à 375 exemplaires, Daum.
Finger, couverts pour l’Orfèvrerie de Chambly.
Mobilier urbain: banc, luminaire, table… Pour les Forges de Syam, MTCC et DRAC Franche-Comté, 1997.
Paris-Tananarive, Madagascar. Sel/Poivre en ébène, palissandre, pierres et cornes de zébu. Catalogue Evansandwong, 1997.
Polichinelle, cadeau de baptême comprenant timbale, coquetier, rond de serviette, cuiller et bougeoir en métal argenté et résine. Edition Puiforcat 1995.
Projets et photos © Jean-Baptiste Sibertin Blanc.
En savoir plus: www.jbsb.eu
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le 2 mars 2011 à 8 h 57 min
J’ai bien aimé ces deux phrases:
» Le design s’est affranchi d’une réflexion culturelle et intellectuelle qui fait défaut dans le paysage industriel Français »
Et juste avant:
« La dimension de l’égo des designers qui est inversement proportionnelle à la qualité de leurs propositions »
J’aime bien ces deux phrases, côte à côte, et toutes les deux bien acceptées aujourd’hui, sous la plume d’un diplômé de l’ensci spécialisé dans les produits « artisanaux ».
Je suis impatient de voir cette lampe portable solaire pour les enfants africains habitués à vivre sans lumière.
le 2 mars 2011 à 16 h 18 min
@ alain: j’aime, comme on dit sur facebook. =D
ça m’a aussi… interpellé!
du coup, la question qu’on peut se poser: Jean-Baptiste Sibertin Blanc a-t-il de l’égo?
le 2 mars 2011 à 16 h 20 min
(zut, faut que je fasse super gaffe à ce que je vais dire dans mon interview…)
le 2 mars 2011 à 16 h 27 min
Je m’apprêtais à dire exactement la même chose qu’Alain – et nous se serons pas les seuls à avoir cette réaction à la lecture de l’article.
En plus de l’ENSCI, l’école Boulle : il peut se permettre une saillie sur la paupérisation intellectuelle de notre paysage industriel, le monsieur…
Respect.
le 3 mars 2011 à 14 h 14 min
Que dire de plus…
le 4 mars 2011 à 23 h 45 min
Hum, il n’est pas certain du tout que les trois commentateurs précédents pensent de conserve. Si?
le 7 mars 2011 à 13 h 43 min
Si, je pense. Bien que d’horizons différents, cet interview nous pousse vers les mêmes réflexions.
En même temps, je ne lui jette pas la pierre: pas facile de parler de soi sans sombrer dans l’égo… à méditer.
le 4 septembre 2012 à 19 h 49 min
bravo!!! beaucoup de chemin parcouru…. depuis les rdv en moto dans le 16e arrondissement de Paris, années 90