« Postmodernism » au Victoria and Albert Museum
Par Mathilde Le Coutour.
Notion transversale s’il en est, le postmodernisme se trouve actuellement mis à l’honneur au Victoria and Albert Museum à Londres, jusqu’au 8 janvier prochain. Retraçant les multiples facettes de ce mouvement, l’exposition questionne son caractère subversif, depuis les années 70 jusqu’à la fin des années 90, dans les domaines de l’architecture, du design, du graphisme, de la mode ou encore de la musique…
C’est d’abord l’architecture, présente tout au long de l’exposition, qui permet dans les premières salles de définir les caractéristiques principales du postmodernisme: rejet des théories modernes voulant faire table rase du passé, goût pour la référence historique (Aldo Rossi, Ricardo Bofill…), fascination pour la culture populaire et l’histoire des villes avec les incontournables « Learning from Las Vegas » de Robert Venturi et Denise Scott Brown, ou encore « Delirious New-York » de Rem Koolhas – à qui est consacrée au même moment une exposition majeure au Barbican Center.
Cette nouvelle façon de voir le monde touche tous les domaines de la création dès les années 70, laissant place à un imaginaire débridé. En design, Ettore Sottsass ou Mendini, et plus largement les mouvements Memphis et Alchymia, s’attachent à donner à l’objet une nouvelle force expressive, entre attitude contestataire et recherche jubilatoire.
A certains moments, l’exposition donne à voir de savoureux rapprochements, comme dans cet espace consacré à l’apocalypse urbaine, où est présentée à côté de chaises à l’esthétique punk de Ron Arad et de Gaetano Pesce, une projection du film postmoderne par excellence, Blade Runner, de Ridley Scott, ainsi qu’une robe de Vivienne Vestwood, empruntant son motif au film…
Moment charnière du parcours, la salle consacrée à la musique est sans doute la plus spectaculaire d’un point de vue scénographique, avec son mélange de costumes et de projections de concerts sur de grands échafaudages. Reprenant consciemment ou non les codes postmodernes, les musiciens apportent un soin particulier à leur image, largement diffusée à travers clips et magazines: manteau de maternité de Grace Jones conçu par Jean-Paul Goude et Antonio Lopez en 1979, costume « over-size » de David Byrne, ou encore, présenté en vitrine tel un totem de Memphis, le fameux couvre-chef en plastique rouge du groupe Devo, l’ »Energy dome ». Où l’on perçoit les premières contradictions inhérentes au postmodernisme, entre avant-garde et sphère commerciale…
Graphisme et typographie contribuent également à rendre populaire ce mouvement pourtant alternatif: direction artistique de Neville Brody pour le magazine « The Face », pochettes de disques de Peter Saville pour Joy Division ou New Order…
L’exposition montre finalement comment l’absence de distinction entre avant-garde et culture de masse est en soi un phénomène post-moderne. Au fil des décennies, le postmodernisme serait-il devenu « mainstream », pour reprendre le titre d’une étude récente de Frédéric Martel sur cette culture qui plaît à tous?
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Image tirée du film de RidleyScott « Blade Runner », 1982.
Couverture de l’ouvrage « Delirious NewYork -a retroactiv manifesto for Manhattan » de Rem Koolhas.
Denise Scott Brown à Las Vegas, 1966.
Robert Venturi à Las Vegas.
« Grace Jones Maternity Dress » par Jean-Paul Goude, 1979.
« Super Lamp », design Martine Bedin, 1981.
Pochette du disque « Unknown pleasures » du groupe Joy Division, par Peter Saville, 1979.
Ron Arad, « Concrete Stereo », 1983.