L’Objet en question(s): l’ordinateur éco-conçu ALT par A+B designers
Nous interviewons aujourd’hui Brice Genre, du collectif A+B designers, qui nous en dit plus sur la conception de l’ordinateur éco-conçu ALT.
Pourriez-vous nous décrire votre projet en quelques mots?
Le décrire en quelques mots est délicat car ce projet a été très long et très singulier. En quelques mots, précisons tout d’abord qu’il a débuté en 2007, et qu’il se poursuit encore. Quatre personnes en sont à l’origine: Olivier Cortès (développeur logiciel), Guillaume Masson (informaticien-électronicien), Michael Gil de Muro (graphiste) et moi-même, Brice Genre (designer-chercheur). Dans le cadre de ce projet, nous avons non seulement été amenés à imaginer le produit en lui-même, l’ordinateur ALT, mais aussi à créer la société Meta IT, qui produit aujourd’hui l’ordinateur. Le design en tant que tel a été réalisé par le studio A+B, dont je m’occupe avec Hanika Perez.
Nous sommes ainsi passés, en 5 ans, de l’élaboration d’un prototype d’ordinateur éco-conçu à la création d’une jeune entreprise industrielle élaborant aussi des logiciels métier, et sollicitée pour du conseil en écoconception.
L’intention préalable était de créer un ordinateur éco-conçu inspiré de la philosophie Open Source et de ses valeurs humanistes, notamment en ce qui concerne une transparence des savoirs, leur échange et donc leur libre circulation. L’objet « ordinateur » était donc en fait un prétexte servant à questionner le rôle et les effets, sociaux, culturels, techniques, énergétiques et économiques de ce secteur, l’informatique, qui est aujourd’hui imbriqué dans de nombreuses autres activités: consommation énergétique, gestion des matières premières, usages et mœurs lié aux numérique, conservation, protection, partage ou propriété des données, organisation des modèles économiques, etc.
Entre démarche de recherche et positionnement idéologique, la conception de l’ordinateur ALT nous permettait ainsi de tester et de proposer à une petite échelle des débuts de solutions globales en lien avec les problématiques esquissées précédemment.
En cela, l’ordinateur ALT tend à être en quelque sorte l’expression d’une recherche de simplicité, d’évidence et de « bon sens », intégrée dans une typologie d’objet relevant de la famille des Hautes Technologies.
Comment ce projet vous a-t-il été confié?
Comme expliqué précédemment, le projet est au tout départ une idée collective. Nous nous sommes distribués les différents rôles et répartis les différentes tâches pour concevoir et réaliser l’ensemble des prototypes en fonction de nos savoir-faire respectifs dans les différents domaines que sont le design, l’ergonomie, l’électronique, la programmation et la communication. Nous sommes partis de rien jusqu’à ce que le projet prenne la forme d’une société.
Quels étaient, selon vous, les principales contraintes et les principaux enjeux de ce projet?
Les principales contraintes étaient de consolider nos connaissances en matière d’écoconception et d’écologie, sachant que nous avions déjà les uns et les autres une sensibilité intellectuelle et un ensemble de références dans ce domaine depuis déjà plusieurs années.
Nous devions aussi connaître le plus précisément possible le contexte national et international dans le domaine des TIC. Nous nous sommes ainsi aperçus que peu de démarches étaient engagées, à l’époque, et que les solutions apportées étaient parfois anecdotiques.
Nous devions également collecter un ensemble de fonds financiers et de soutiens, que ce soit auprès d’institutions, des pouvoirs publics, ou d’entités spécialistes en ce domaine. Nous avons ainsi reçu un soutien financier et une aide de la part de l’Incubateur Régional Aquitaine, de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie), du Réseau Entreprendre Adour, de l’Université de Toulouse Le Mirail et de la Région Midi-Pyrénées, d’Estia Innovation, de la Technopole Izarbel, mais aussi de membres de la communauté scientifique comme par exemple Jacques Roturier de l’université de Bordeaux et Françoise Berthoud du CNRS.
Du point de vue technique et technologique, comme dans les usages, nous devions être au plus près des obligations que nous nous étions imposées en termes d’économie d’énergie et de matière. Le pied réglable de l’ordinateur est l’élément qui illustre le mieux la démarche globale dans laquelle s’insère l’objet. En effet, nous avons pris le parti d’utiliser un minimum de pièces (deux en l’occurrence) et donc un minimum d’énergie et de matière.
Inspiré, comme nous l’avons dit, de la philosophie Open Source, l’ordinateur ALT vise une diffusion des notions de partage et d’échange, de libre possession des moyens de production, le maintien et la promotion des savoir-faire économiques et techniques locaux. Ainsi, l’objet a été conçu de manière à rendre capable chaque localité ou chaque pays qui voudrait en faire l’acquisition, d’en assurer la production et le développement en valorisant leurs savoir-faire spécifiques.
Du point de vue économique, social et culturel, les enjeux de l’écoconception sont nombreux et soulèvent donc un large ensemble de postures éthiques.
Pourquoi le projet a-t-il, au final, cette forme et ce ou ces matériaux?
Le design n’est pas une strate subsidiaire du projet global: il est placé en amont pour devenir constituant du modèle économique et industriel de la société META IT, et pour en matérialiser les valeurs sociales et culturelles.
Le dessin de ALT relève de l’écoconception dans la mesure où, à chaque étape de son développement, de l’idée à la réalisation définitive de l’objet, le design est le moyen et la solution d’une approche intelligente quant aux choix industriels, à la résolution des problèmes d’usage et d’ergonomie, ainsi que d’économie d’énergie (car il consomme seulement 27 watts en utilisation).
L’attention portée à l’impact environnemental de la production passe aussi dans ce projet par la recherche d’une réduction à l’essentiel: l’ordinateur ALT est constitué seulement de 4 pièces d’aluminium, des 5 composants électroniques et de la connectique. Le « pied » en constitue le paradigme puisque celui-ci nécessite seulement 2 pièces alors que les piètements classiques d’écran en requièrent en général environ une dizaine pour permettre la même fonction d’inclinaison.
Le dessin de l’objet est en quelque sorte une résultante des scénarios définis pour le projet global, du nombre d’éléments nécessaires pour le construire et des process utilisés. D’autre part, son dessin prend en compte la nécessité d’un faible encombrement des pièces lors de leur transport, comme de celui de l’ordinateur une fois assemblé. Sa forme est aussi une résultante du peu de matière employée pour le réaliser (de l’aluminium recyclable à 98%).
Une des spécificités de l’objet est également que son squelette est aussi sa peau: sa structure, favorisant une dissipation thermique améliorée de la chaleur, permet de se priver de l’utilisation de ventilateur pour refroidir l’ensemble de l’appareillage électronique intérieur et de réduire de ce fait sa consommation énergétique. Comme un corps humain, un ordinateur utilise beaucoup d’énergie pour se refroidir, nous lui avons ainsi apporté quelques subtilités de forme nous permettant d’atteindre des consommations énergétiques souhaitées (nous pensons pouvoir encore les améliorer dans de prochaines versions).
Au total, combien de personnes ont travaillé sur ce projet?
Au tout début, nous étions donc quatre, puis nous avons été rejoints par Hanika Perez, le deuxième membre d’A+B. Il faut également compter les artisans, les industriels, les experts, les institutionnels et les représentants des pouvoirs publics qui ont été des personnes importantes et influentes dans la réalisation du projet.
Quelles sont les difficultés que vous avez éventuellement rencontrées sur ce projet, et comment les avez-vous contournées?
Les difficultés furent nombreuses et multiples car, pour le dire simplement, nous envisagions de créer un ordinateur le plus éco-conçu possible dans un univers et un domaine d’activité dans lequel on peut aisément imaginer les déséquilibres des rapports de force.
De fait, les difficultés furent nombreuses: financières, techniques, administratives, commerciales, etc.
Par ailleurs, nous avions définit, pour nous-même, l’obligation de travailler et de réaliser l’objet en n’utilisant que des logiciels libres et open-source. Nous avons rencontrés des difficultés en ce qui concerne l’interopérabilité de certains logiciels entre eux, et nous avons réussi suite à de nombreux essais à constituer un workflow logiciel efficace entre nous et avec nos prestataires. Nous avons simplement dû faire une entorse dans un cas précis, et utiliser un logiciel propriétaire pour raccourcir le temps de conception du serveur qui est à ce jour en cours de fabrication.
Une autre des difficultés est de communiquer un projet et une approche qui, en bien des points, diffèrent des pratiques actuelles. Pour exemple, nous ne respectons pas l’ensemble des codes esthétiques qui sont généralement attribués à l’écologie (l’utilisation de la couleur verte ou de matériaux dit « naturels »). Une fois encore, il est bien important de comprendre que nous n’avons pas réaliser un ordinateur « non-polluant » mais un ordinateur qui pollue le moins possible, en imaginant et tendant vers une évolution toujours plus positive. Dans le domaine dit de l’écologie, bien des choses sont dites, bien des choses sont fausses et les ambiguïtés sont nombreuses…
Sur combien de temps s’est déroulé ce projet?
Les phases ont été multiples, il y a eu de nombreux aller-retour, des échecs, des tentatives, des tests, que ce soit en ce qui concerne les process, le design, l’appareillage électronique… L’ensemble du projet, entre les premiers débuts et la dernière version optimisée s’est étalé sur 4 années.
Rétrospectivement, changeriez-vous aujourd’hui quelque chose à votre projet?
Bien des choses, car le but est qu’il évolue encore et encore et que ses performances énergétiques, techniques et de fabrication s’améliorent. Nous aimerions également que les valeurs éthiques dont il essaie d’être porteur se diffusent.
Et pour finir, où en est ce projet?
50 ordinateurs ont été produits et vendus en un an et demi dans le cadre de projets pilotes et de phases tests. Les résultats sont concluants et les objectifs définis sont atteints. Nous venons de recevoir aujourd’hui l’ensemble des documents et des informations constituant l’Analyse de Cycle de Vie (ou ACV), qui nous permettent d’avoir un retour précis sur les effets et les avancées du projet dans le cadre de sa production et de son usage.
Dans la continuité de ALT, un serveur nommé CTRL va être présenté dans les mois qui viennent, ainsi que le projet Licorn qui est une solution logicielle « intelligente » permettant d’administrer des réseaux et des ensembles de données.
Pour en savoir plus: aplusbdesigners.com et meta-it.fr.
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Quelques images du projet:
le 24 mai 2012 à 10 h 15 min
Happy Birthday Dieter
Dieter Rams 80 years old !!
le 24 mai 2012 à 14 h 25 min
j’espere que la prochaine etape ne sera pas SUPPR
[blague de nerd inside]
le 27 mai 2012 à 8 h 08 min
Je trouve que ça fait un bien fou de voir un projet comme ça.
Merci à la Revue.
le 28 mai 2012 à 10 h 41 min
@ Design_is_boring : tout à fait d’accord avec vous…