Interview: Sismo Design
C’est Antoine Fenoglio, du studio Sismo Design (qu’il a fondé avec Frédéric Lecourt), qui répond aujourd’hui à nos questions.
–
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre formation et votre parcours professionnel?
Nous avons fondé Sismo en 1996, après avoir eu une grande discussion sur l’univers du design à Milan, alors que Frédéric était en free-lance chez Michele De Lucchi. Nous sortions à peine de l’école où nous nous étions rencontrés (un BTS appelé alors « esthétique industrielle »), et Frédéric finissait son cursus à l’ENSCI. Notre constat état que De Lucchi arrivait à faire au sein du même studio des projets uniques signés à forte valeur culturelle et de la stratégie pour Olivetti. C’est ce que nous avons décidé de mettre en place de retour en France, pour toujours rester sur le haut de la ligne de crête qui sépare « les agences », des « créateurs ».
Sur quel(s) sujet(s) travaillez-vous en ce moment?
Cette diversité extrême, ce trait d’union entre la culture et l’économie, aujourd’hui nous les pratiquons quotidiennement: nous venons de réaliser la scénographie d’une exposition-atelier pour enfants sur l’artiste Frida Kahlo au Centre Pompidou, et à l’opposé nous travaillons sur des projets d’innovation par le design pour un très grand groupe industriel (nouveaux process, nouveaux business plan, et nouveau « design »). Nous travaillons également pour des PME qui cherchent à se diversifier, une marque de boisson qui veut créer son nouveau standard de verre, et une nouvelle épicerie très haut de gamme qui doit ouvrir en décembre. Par ailleurs, je suis pour ma part pas mal investi en tant que membre de l’Equipe de France du Design montée par Arnaud Montebourg et Aurélie Filippetti. Un premier rapport, très complet, a été remis aux ministres il y a quelques jours.
Combien de personnes compte votre agence?
Nous sommes environ une dizaine de personnes, quasiment tous designers produits de formation, qui viennent d’univers et de cultures très différentes: du royal College of Art, de l’ENSCI, de Reims, de double cursus designer-ingénieur… La diversité de nos collaborateurs est incontournable au vue de la diversité de nos projets, qui demandent une très grande adaptabilité et une curiosité intellectuelle afin de garantir la richesse de nos réponses en design.
Quelle est votre méthode de travail habituelle?
Nous avons développé depuis 15 ans une méthodologie très particulière basée sur le dialogue. Demandez à 5 personnes en début de réunion de vous citer un « vélo design », pas un d’eux va avoir la même réponse. Tout le monde sait pourtant ce qu’est un vélo, non? Le problème est donc de définir ce que, tous ensemble, on va mettre derrière le terme de « design » quand on aborde un projet.
Sur ce constat évident, nous avons développé de véritables cartographies du design et de ses implications globales dans un projet, pour éviter les écueils, les déceptions, être à la fois créatifs et raisonnables.
Notre outil majeur, que nous appelons entre nous le Carré Magique, a d’ailleurs été à l’origine de la première grande exposition que nous avons réalisée en tant que designers et commissaires, à l’occasion de l’ouverture de la Cité du Design en 2009 à Saint-Etienne. Cette exposition présentait 220 références du design du monde entier, cartographiée avec notre outil.
Fréquentez-vous les blogs et sites Internet consacrés au design, et si oui lesquels?
En fait et en toute honnêteté pas tellement. Nous avons l’un et l’autre une culture très « hors-design », et notre curiosité nous amène plus volontiers vers les sciences, les technologies, l’art contemporain, ou des aspects plus « entreprise »: accompagnement du changement, ou design de business plan par exemple. Cette question nous passionne de savoir en quoi le design pourrait être tangible dans des univers surprenants de l’entreprise ou de la culture.
Y a-t-il un ou plusieurs designers, ou créateurs, qui vous inspirent au quotidien?
Au quotidien peut-être pas, mais c’est vrai que par exemple l’artiste Mathieu Mercier, avec qui nous venons de réaliser une œuvre, a une approche de l’objet dans l’art contemporain qui est extrêmement intéressante car il en montre les failles de langages ou de perception, l’absurdité, avec une très grande pertinence. Mais ce peut-être aussi un intérêt pour un scientifique spécialiste de la métacognition, ou un graphiste comme Stefan Sagmeister (voir par exemple sa conférence TED) notamment pour sa manière d’aborder l’implication de son travail dans la construction de sa vie personnelle.
S’il y avait une chose à changer dans le design?
Casser les chapelles, c’est notre combat: nous considérons comme une richesse le fait qu’il y ait de grands créateurs qui travaillent seuls dans leurs ateliers, de petites agences, de grosses agences, des designers intégrés, etc. Personne ne fait un meilleur design que l’autre, ce sont des regards différents, pour des créations de valeurs différentes, mais c’est l’élégance de cette diversité qui fait une certaine création française.
Quelle est la commande que vous aimeriez vous voire confier?
Nous sommes toujours arrivés à avoir des commandes qui nous ont fait rêver, et qui nous ont fait énormément progresser car elles sont souvent très dures à réaliser, forcément.
Alors une commande de rêve: travailler sur un programme de la NASA, accompagner un politique sur sa compréhension de cette évidence de demain: better design, better life, et continuer de dessiner de grands standards du quotidien, comme on a pu le faire avec les tasses à café de bistrot Café Richard, la prochaine génération de boîte aux lettres de rue, des pneus, une pochette de classement, une carte informatique…
De votre point de vue, le métier de designer est-il enviable aujourd’hui?
La façon dont nous pratiquons le design est un choix et un engagement. Si c’est en partie ce métier de designer qui le permet, alors oui il est enviable.
Pour finir, un livre, un site Internet, un film, une découverte récente… que vous auriez envie de partager avec nous?
Frédéric est en train de lire un pavé de Marcel Mauss dont j’ai oublié le nom. Je vous recommande quant à moi L’esthétisation du monde: Vivre à l’âge du capitalisme artiste de Gilles Lipovetsky et Jean Serroy. Mais aussi: restez scotcher devant un docu de Matthew Akers avec l’artiste Marina Abramovic: The Artist is Present; allez voir l’exposition sur les objets Surréalistes au Centre Pompidou qui est vraiment une belle exposition, et profitez-en pour faire faire à vos enfants, neveux ou cousins l’atelier-exposition sur Frida Kahlo…
–
Quelques projets des Sismo:
Carte LaCie – PCI card
Les cartes PC n’avaient jamais été dessinées! Peut-être trop techniques? Grâce à nos outils de scan design, nous avons détecté au milieu de fortes contraintes de nombreuses zones d’amélioration en termes d’usage, de compréhension, de qualité perçue et de lisibilité. Nous avons ensuite développé cette conception particulière sur l’ensemble de la gamme. Et ainsi obtenu de belles courbes des ventes et un prestigieux prix de design industriel international: le Red Dot.
Scénographie Frida Kahlo
Atelier – Exposition pour enfants « Frida et Moi ». Espace de sensibilisation à l’univers de Frida Kahlo, cette exposition-atelier scénographie propose aux enfants de 5 à 10 ans et à leurs familles un voyage dans l’oeuvre et la vie de Frida.
Par Odile Fayet, Isabelle Frantz-Marty, service de l’action éducative et programmation publics jeunes. En collaboration avec Déidré Guevara, Instituto Guerrerense de la Cultura, Mexique. Scénographie: les Sismo designers
Œuvre Mathieu Mercier
« En attendant… », une installation vivante réalisée avec l’artiste Mathieu Mercier:
« Au travers de ses productions, Mathieu Mercier s’intéresse au design, au monument funéraire, au temps. Les Sismo designers s’ingénient grâce au design à créer des contextes d’innovations collaboratives, avec des univers aussi variés que l’industrie, les collectivités, l’art contemporain ou les nouvelles technologies.
Mathieu Mercier et les Sismo se sont ainsi rencontrés par ce trait d’union qu’est le design et ont décidé de réfléchir ensemble à des réalisations additionnant leurs expériences, sans jamais fusionner leur rôle respectif, respectant leur conviction que l’art n’est pas le design et vice versa. Ici Mathieu Mercier utilise le processus nommé Vanité High Tech créé par les Sismo. Ce processus permet, à partir des progrès récents des scanners et des imprimantes 3D, de disposer de son propre crâne de son vivant. »
Coffret Champagne – Charles Heidsieck.
Peugeot PSP – Moulins électriques
Peugeot PSP nous a demandé de réinventer un classique pour qu’il s’intègre à son époque. Nous avons créé un design complice dessiné d’une seule courbe, et une ergonomie optimisée pour que la main trouve naturellement sa place, ce qui a permis de rendre la technique (mécanisme électrique et batteries) plus discrète au profit d’une mise en valeur des grains et de la gestuelle d’usage. Prix de vente public: 32 euros.
Greenage – Gamme Céralin®
Comment valoriser les déchets des épis de blés? Nous avons tout d’abord fait une étude sur les finitions de ce nouveau semi-matériau à base de cosse de blé: quelles couleurs? Quels grains? Quelle brillance? Ensuite nous avons proposé à GreenAge de développer une collection de mobiliers narratifs qui communiquent les valeurs écologiques, économiques et structurelles du produit « Céralin ». L’objectif clair de ces mobiliers est d’être très photogénique pour rentrer dans de la presse spécialisée et de toucher des prescripteurs de tendances lors de différentes expositions.
le 14 novembre 2013 à 10 h 06 min
Bravo, bien intéressant. Bernard
le 14 novembre 2013 à 16 h 38 min
très bien!
le 15 novembre 2013 à 8 h 53 min
très bon article qui rend clair les choix complexes qui continuent à se faire chez Sismo. merci.