Le Lieu en question(s) : L’espace de Ressourcement du CHU de Toulouse par Anaëlle Bouthier
Voici un article un peu particulier de notre rubrique l’Objets en question(s), puisqu’ici il concernera non pas un objet, mais plutôt un lieu dans sa globalité. L’espace de Ressourcement est un lieu créé pour le CHU de Toulouse par Anaëlle Bouthier, designer indépendante, chercheure et enseignante. En 2015, elle a fondée l’Atelier Care Design, une agence de design humain, éthique et social. Elle nous raconte l’histoire du projet, sa genèse, ses contraintes, ses enjeux…
Pourriez-vous nous décrire votre projet en quelques mots?
L’espace de ressourcement est un lieu que j’ai imaginé et conçu pour le CHU de Toulouse, afin de proposer une alternative aux lieux de cultes traditionnels et permette aux visiteurs, religieux ou non, d’accéder à un espace neutre et paisible. Aménagé dans le nouveau bâtiment des Urgences, Réanimation et Médecines (URM), ce lieu offre la possibilité de se retirer des unités de soins et de bénéficier d’un instant de sérénité et d’évasion pour reprendre souffle.
Ce projet a bénéficié d’une approche globale puisque les services, l’architecture du lieu et l’ensemble du mobilier, ont été conçus spécifiquement pour ce lieu.
Dans les lignes droites et le béton brut du bâtiment d’accueil, j’ai créé un espace circulaire lové sur lui-même. Dans ce cocon en bois de bouleau, une dentelle faite de 40000 percées lumineuses dessinent des paysages abstraits qui suscitent la contemplation grâce à l’expérience visuelle inédite qu’elle propose dès que l’on se déplace dans l’espace, ou encore grâce à d’infimes variations de lumière, du blanc chaud au blanc froid.
L’espace de ressourcement invite l’esprit à s’évader, à s’élever par le travail réalisé sur le plafond incliné diffusant une lumière douce et tamisé. Aussi pour mieux favoriser l’évasion, les personnes sont invitées à prendre à l’entrée du lieu des textes philosophiques et poétiques imprimés sur des feuillets au format A6. Ils ont aussi la possibilité d’écrire librement sur des feuillets mis à leur disposition pour qui a besoin de se confier, de s’alléger, ou encore de lâcher prise.
Cette salle est ouverte en continu et en accès libre à l’ensemble de la communauté hospitalière, des patients et des visiteurs du site de Purpan.
Comment ce projet vous a-t-il été confié?
Dans le cadre de la restructuration de l’hôpital Purpan et la construction de nouveaux bâtiments hospitaliers, le CHU de Toulouse souhaitait proposer des lieux de vie accueillants et plus proche de l’humain. Durant mes travaux de recherche en design & santé, j’ai eu l’opportunité, en 2011, de rencontrer la direction générale du CHU de Toulouse et de mettre en place un partenariat de recherche entre le CHU de Toulouse et la plateforme de recherche CRISO (CRéation et Innovation Sociétale). C’est via ce dispositif de collaboration CIFRE que j’ai soutenu en 2015 une thèse « Design de soin et milieu hospitalier ».
L’une des premières demandes formulées a été celle de concevoir une chapelle où il y aurait été possible de pratiquer plusieurs religions, comme on en voit par exemple dans les aéroports et certains hôpitaux. J’ai commencé par réorienter le programme en le déconnectant de la pratique religieuse afin de destiner cet espace à tous, fidèles et non-croyants. C’est de là qu’est née l’idée d’un espace de ressourcement. Séduit par l’approche globale de la démarche et son apport qualitatif au bénéfice de l’ensemble des personnels et usagers de l’établissement, le CHU de Toulouse a souhaité le réaliser.
Quels étaient, selon vous, les principales contraintes et les principaux enjeux de ce projet ?
Les principaux enjeux de ce projet étaient de concevoir un lieu qui puisse :
- Répondre aux objectifs d’apaisement et de ressourcement via l’ensemble des services, l’architecture et le mobilier.
- Accueillir tous les publics (personnes en situation de handicap : visuel, sonore, etc…) en proposant un espace multisensoriel.
- Utiliser des matériaux locaux et collaborer avec les entreprises de fabrications locales.
Contraintes sur les sources lumineuses : La zone dans laquelle se situait le lieu ne possédait aucune source lumineuse naturelle. Il y avait donc un travail minutieux à réaliser à partir de sources d’éclairage artificielles afin de recréer un environnement lumineux agréable et apaisant.
Contraintes techniques : Les établissements publics de santé sont soumis à de nombreuses contraintes comme celle de répondre aux normes de classement feu, sachant que le matériau principal est le bois, de faciliter le nettoyage (hygiènes strictes), de permettre le montage et démontage des éléments constitutifs du lieu afin de simplifier la maintenance.
Contraintes ergonomiques : L’hôpital public accueille tous types de publics (enfants, personnes âgées, personnes en situation de handicaps, etc…) ce qui implique que l’espace et le mobilier soit adaptable à chacun.
Contraintes fonctionnelles : Organiser les services du lieu pour qu’ils puissent être fonctionnels et le plus autonome possible dans le temps. Permettre la possibilité de moduler le mobilier (pour se ressourcer seul ou en petit groupe) tout en garantissant sa solidité.
Quel était votre concept ou votre idée de départ?
Un ensemble d’idées mises bout à bout a donné lieu aux contours de ce projet :
- concevoir un lieu qui puisse exprimer un élément qui m’est apparut comme des plus essentiels pour un hôpital, la vie ! Le concept de biophilie a donc été central dans le processus créatif. L’objectif était de mettre en évidence le lien instinctif de l’être humain avec la nature et de permettre aux usagers de se reconnecter à ce besoin primaire : la nature étant souvent envisagée comme premier lieu de ressourcement et d’apaisement.
- proposer un espace qui puisse, d’une part, apaiser et rassurer et d’autre autre part, inviter l’esprit à s’élever au-dessus des préoccupations liées au contexte hospitalier.
- l’idée de développer un langage plastique propre à celui de la spiritualité (par-delà la religion) : le cercle, la verticalité, la légèreté, le souffle et la lumière m’ont fortement inspirés.
- proposer un lieu qui puisse permettre de vivre un espace-temps de rupture, le recentrement et l’évasion, hors des stimulations sonores et visuelles habituelles.
- et inviter au lâcher-prise par l’expérience spatiale mutisensorielle inédite proposée, encouragée par l’atmosphère ambiante.
Pourquoi le projet a-t-il, au final, cette forme et ce ou ces matériaux?
De l’organisation architecturale aux mobiliers, des divers services à la signalétique, du plafond à la poignée de porte, tous les éléments du projet ont été pensés les uns par rapport aux autres afin de former une cohérence globale. Le projet s’est donc construit en filigrane.
Les portes coulissent en silence et nous entrons dans un univers feutré et tout en rondeurs. L’ambiance douce émanant du bois et la lumière tamisée contribuent à créer une sensation enveloppante qui nous plonge dans l’apaisement.
Habiter le cercle et la verticalité :
L’architecture du lieu s’inspire des premières formes d’habitat construites à partir du modèle cosmique : un espace circulaire, projeté dans un plan vertical matérialisé par un plafond incliné diffusant une lumière douce et tamisée.
Dentelle de lumière et expériences cinétiques :
Des myriades de percées lumineuses constellent les parois de bois pour révéler un mouvement s’apparentant à un souffle lumineux. Elles invitent à des expériences sensorielles hors du commun et réintroduit une forme d’émerveillement au cœur de l’hôpital. Le jeu de perforation dévoilé par la lumière modifie l’expérience spatiale du visiteur : la perception visuelle de la paroi se transformant au gré des déplacements du corps dans l’espace. Apparitions, disparitions, chacun devient ainsi acteur de ce jeu cinétique lumineux étonnant. Ce dispositif invite à contempler les processus en transformation dont la fonction première est de « court-circuiter » les préoccupations de l’individu (douleurs physiques, pression, peur, etc…).
L’éclairage situé derrière la membrane bois qui encercle la pièce, est programmé de façon à proposer des ambiances évolutives au fil du temps à l’instar des phénomènes naturels. La scénographie produit la qualité de lumière d’un coucher ou lever de soleil, d’un midi éclatant ou encore l’ambiance d’une lumière diffuse créée par le passage de nuages.
Mobilier de méditation :
Les bancs de différentes hauteurs sur lesquels flotte une feuille de bois, ont des assises spécifiquement creusées pour répondre aux contraintes de confort et favoriser une posture active et dynamique appropriée à la pratique de la méditation. Semi-circulaires, ils sont modulables ce qui permet de créer des micro-espaces circulaires répondant à diverses appropriations et habitabilité du lieu.
Temps de lecture et d’écriture :
Pour favoriser le recueillement, des textes philosophiques et poétiques sont mis à disposition sur des feuillets en libre service dans le sas d’entrée. Aussi, on trouve à l’intérieur de l’espace des chevalets d’écriture et des feuillets vierges afin de permettre l’expression libre, et l’évacuation de certaines pensées.
La signalétique à l’extérieur du lieu a été élaborée dans l’objectif de rendre le lieu complètement autonome, puisqu’il est ouvert jour et nuit. Gravée dans le bois, elle comporte un bref descriptif du lieu et des différents services proposés, ainsi que les modalités de son fonctionnement.
Qui étaient vos interlocuteurs chez votre client, et avec qui avez-vous du collaborer?
Nombreux ont été les interlocuteurs impliqués dans ce projet :
- pour la maîtrise d’ouvrage (CHU de Toulouse) : l’équipe de direction générale du CHU de Toulouse, l’équipe de direction de l’hôpital Purpan, l’équipe du personnel hospitalier qui a participé au groupe de réflexion élaboré autour de l’Espace de ressourcement (constitué de médecins, cadres de santé, psychologue, sophrologue), ainsi que l’équipe de direction de communication et des affaires culturelles
- pour la maîtrise d’œuvre, les techniciens et artisans de l’ensemble des entreprises qui ont réalisé le projet (menuiserie, ébénisterie, ferronnerie, secteur de l’éclairage), l’équipe de direction de l’entreprise générale de construction du bâtiment qui les a mandatés ainsi que les architectes et le bureau d’étude associés.
Au total, combien de personnes ont travaillé sur ce projet?
Un nombre considérable de collaborateurs ont été impliqués dans ce projet, il me semble difficile d’en donner un chiffre exhaustif. Toutefois entre les rencontres faites dans le cadre de mes recherches, les interlocuteurs de la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre, une bonne cinquantaine de personnes ont gravité de près ou de loin autour du projet.
Quelles sont les difficultés que vous avez éventuellement rencontrées sur ce projet, et comment les avez-vous contournées?
J’ai eu souvent à faire face à de nombreuses procédures administratives et ce contexte a nécessité de maintenir une attitude déterminée quant à la proposition design. Cela dit, à partir du moment où le projet a été officiellement lancé, tout s’est déroulé avec beaucoup de simplicité, d’enthousiasme et d’engagement de la part des collaborateurs.
Je suis ravie que ce type de projet puisse aujourd’hui exister dans un hôpital public et qu’il participe à l’ambition d’une prise en charge globale de l’être humain.
Sur combien de temps s’est déroulé ce projet?
L’espace ressourcement s’est développé concomitamment aux projets de construction du bâtiment URM. Entre les premières études du projet et l’ouverture du bâtiment qui a eu lieu fin 2015, quatre années se sont écoulées.
Rétrospectivement, changeriez-vous aujourd’hui quelque chose à votre projet?
À vrai dire pas grand-chose, mais si j’étais amenée à le refaire, je pourrais questionner quelques éléments comme par exemple l’absence de dossier sur les assises.
Et pour finir, où en est ce projet?
Ce lieu est ouvert depuis novembre 2015, date à laquelle a ouvert son bâtiment d’accueil. De nombreux articles rédigés à son sujet témoignent de l’intérêt de ce lieu. Il a d’ailleurs été récemment lauréat au palmarès de la construction bois Occitanie 2017. Ma plus grande satisfaction vient des messages laissés via le dispositif d’écriture qui témoignent que le lieu fonctionne comme une porte ouvrant à nouveau sur la vie, autant pour les patients que pour les visiteurs et, vers un ailleurs imaginaire salvateur pour les soignants.
Photographies : Yohann Gozard
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