{objet} trou noir
Par Alexandre Cocco.
Confiée cette année à Gaëlle Gabillet et Stéphane Villard, la Carte Blanche du VIA pose un questionnement fondamental, inhérent à la pratique du design: quels peuvent être l’intérêt et l’aboutissement final d’une démarche visant à produire sans cesse de nouveaux produits, n’ayant souvent pour objectif que de rendre obsolètes les précédents?
Cette logique répond un intérêt économique que l’on imagine aisément. Elle possède également, on le conçoit tout aussi facilement, des limites écologiques et géologiques (sans parler d’implications humaines et éthiques). Avec leurs visions et outils, les deux designers ont ainsi proposé cette année, dans le cadre de la Carte Blanche qu’ils ont présentée lors du Salon du meuble de Milan, différentes pistes de réponses, cherchant notamment à trouver des alternatives à la pénurie de ressources annoncée.
Leur postulat: créer des objets cherchant à éviter la fatalité du “toujours plus”.
“Un aspect séduisant du design consiste à laisser penser que nos productions de designers contribuent systématiquement au progrès de la société alors qu’elles s’inscrivent, malgré nous, majoritairement dans le surplus et in fine dans la désagrégation. En effet, bien que la pensée créatrice du design génère des innovations pertinentes, elle s’engage néanmoins rarement en prenant en compte les nombreuses conséquences de la surproduction et de la surexploitation des ressources. Celles-là même qui engendre cet étrange état des choses.
Si le design assume sa vocation industrielle tout en prenant en compte ces enjeux de société, il nous faudrait alors créer des objets en plus qui auraient pour vocation à générer des objets en moins.” (1)
Gaëlle Gabillet et Stéphane Villard.
Leur projet est constitué de structures, autonomes, flexibles et “déspécialisées”, qui sont considérées comme autant de “trous noirs” (ce terme sert d’ailleurs d’intitulé global au projet), en ce sens qu’elles doivent être capables d’attirer à elles toute une diversité de comportements et de pratiques, et d’absorber par attraction les objets à faible gravité qui se trouvent dans leur champ.
“Cette métaphore de l’objet trou noir repose sur l’idée d’absorption, soit en quelques mots: vider l’espace et contenir notre utilisation de la matière.”(2)
Gaëlle Gabillet et Stéphane Villard
Plus précisément, Gaëlle Gabillet et Stéphane Villard ont défini plusieurs axes pour répondre à leur questionnement de ase, au sein desquels ils ont imaginé plusieurs objets.
Absorber:
Pour les designers, les décharges constituent des formes évidentes de “trous noirs” au sein de notre société. L’incinération de nos déchets ménagers génère en effet des rejets et résidus toxiques, en quantité importante. Gaëlle Gabillet et Stéphane Villard proposent donc de travailler à partir d’une “matière dernière” (et non d’une “matière première”), qui serait issue des résidus d’épuration des fumées d’incinération des ordures ménagères. Cette matière est inerte et possède l’apparence d’une pierre noire. Elle peut également être obtenue à partir des déchets amiantés du bâtiment.
Intitulée Cofalit, cette matière existe déjà. Elle est peu onéreuse (quelques euros la tonne), elle possède une bonne conductivité thermique, est totalement inerte et non dangereuse, et elle est actuellement utilisée en sous-couche routière, en tant que granulat après concassage.
Trois semi-produits de construction et d’aménagement ont été pensés dans ce matériau:
- une petite brique creuse, qui pourrait être utilisée pour la construction de poêle à bois, de cheminées, mais aussi de cloisons séparatives.
- une tomette, pour les murs, les sols ou les plans de travail.
- et une tuile, à utiliser en recouvrement des tuyaux de chauffages pour composer des radiateurs.
Tous ces objets sont en Cofalit moulé.
Décomposer:
L’aspirateur est notre petit “trou noir domestique”. Cet objet, qui paraît complexe techniquement, est pourtant à y regarder de près uniquement composé d’une turbine, d’un balai, d’un sceau et d’un socle. En le prenant en exemple d’une théorie généralisable à d’autres produits, les designers proposent de disjoindre ses différents éléments afin de créer des objets utilisables dans d’autres contextes (des “pièces détachables”). Nous retrouvons donc, séparés mais assemblables, une turbine, un balai, un sceau et un socle, réalisés en acier provenant de l’industrie automobile, mais aussi en bois ou en cuir…
Déspécialiser:
Le petit électroménager est le théâtre de l’hyperspécialisation, proposant une multitude d’objets aux fonctions uniques: crêpière, cuiseur vapeur, appareil à raclette… Leur utilisation plus que ponctuelle pose cependant une question évidente: “à quoi servent-ils quand ils ne servent pas?”. D’où la proposition de Gaëlle Gabillet et de Stéphane Villard de les recréer à partir de pièces de vaisselle. En effet, posé sur un socle qui contient une bobine d’induction, n’importe quel corps ferreux peut devenir un élément de chauffe.
“La meilleure façon de penser aux générations qui viennent n’est-elle pas de leur laisser de l’espace pour qu’elles puissent trouver leur monde? Peut-être qu’à trop transmettre, on encombre d’avance les générations futures qui ne pourront donc pas faire ce qui est le propre de chaque génération: prendre le monde en main?”(3)
Pierre-Damien Huyghes.
Plus de renseignements sur le site www.via.fr.
Photos © VIA 2011 – Simon Thiébaut.
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Notes:
(1) Cette citation est issue du catalogue pdf réalisé par le VIA pour présenter ses Aides à projets et sa Carte blanche 2011.
(2) Ibid.
(3) Ibid. Pierre-Damien Huyghes est Docteur en philosophie, Professeur à l’université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, Directeur du master de recherche “Design et environnements” et Directeur du Centre de recherches esthétique, design, environnement (CREDE).
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GG!! De l’humour ,en plus! (les Fofos)
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