Intérêts éventuels et écueils probables du néo-rétro-design
Pierre Paulin, créateur incontournable des années 1960 et 1970, totalement oublié ou presque depuis une vingtaine d’années, revient sur le devant de la scène. Après deux grandes rétrospectives présentées à la villa Noailles de Hyères durant l’été 2007 et au Musée des Gobelins début 2008, la galerie parisienne Perimeter lui consacre une exposition jusqu’au 10 janvier prochain, dévoilant au passage quatre modèles inédits. Dans le même temps l’éditeur de meubles Ligne Roset distribue pour la première fois une série de canapés, fauteuils et poufs de la série Pumpkin, imaginée à la fin des années 1950.
Chez Perimeter, Pierre Paulin présente deux banquettes intitulées Face à Face et Dos à Dos, dont les formes ondulantes et colorées, en mousse recouverte de tissu, rappellent le vocabulaire formel exploité par le créateur dans les années 1960, à l’époque notamment de sa collaboration avec la marque néerlandaise Artifort. Deux modèles de tables, plus tardifs (datant du début des années 1980), sont également exposés. Réalisés en aluminium laqué, leurs piètements supportent des plateaux de verre transparents, révélant une structure quadrillée façon nid d’abeilles.
Chez Ligne Roset, la série Pumpkin (potiron) se décline quant à elle en un grand canapé trois places, un petit canapé, un fauteuil et un pouf. Composées de socles en plastique ABS thermoformé supportant de gros coussins de mousse, massives mais galbées, ces assises sont produites en grande série et possèdent donc une certaine vocation « grand public », contrairement aux objets évoqués plus haut, respectivement tirés à cent exemplaires pour chacune des banquettes et à huit pour chacune des tables.
L’inscription temporelle du design
Si le collectionneur ou le consommateur peuvent se réjouir de ces rééditions, et de la réhabilitation d’un créateur si important, l’observateur attentif du monde du design se posera lui quelques questions :
Pourquoi ces pièces en particulier, et pourquoi maintenant ?
Pourquoi n’avaient-elles pas été éditées lors de leur création ?
Pourquoi avoir tant attendu ?
N’y avait-il pas, aujourd’hui, d’autres objets à imaginer ?
Plus largement, quelle est la valeur culturelle et la pertinence historique d’une réédition ?
Pierre Paulin est assurément l’un des designers français les plus importants du XXe siècle. Ses nombreux projets, tout autant que son rôle de pionnier dans l’utilisation de nouveaux matériaux, en témoignent : meubles ou accessoires édités par Artifort, Thonet ou Allibert dès la fin des années 1960, aménagement des appartements privés du couple Pompidou à l’Elysée en 1975, du bureau de François Mitterrand en 1984, Grand prix de la création industrielle en 1987, etc.
Pourtant, si l’on considère que tout projet de design est une réponse ponctuelle à un problème donné, ou tout au moins la cristallisation d’enjeux propres à une époque et à la perception que le créateur en a, la réédition ad litteram d’objets imaginés il y a une quarantaine d’années, que l’on présente comme des « nouveautés », n’est pas sans donner un curieux sentiment d’ubiquité, incompatible avec l’idée que l’on se fait d’une certaine pertinence historique du design. Autrement dit, rééditer, n’est-ce pas abstraire la production d’un designer de son contexte, et ce faisant lui ôter une partie de son intérêt ?
La nostalgie facile
Surfant sur la vague du « rétro » et de la nostalgie bienvenue, notre époque, peut-être par certains aspects en panne d’inspiration, surtout soucieuse d’en donner à tous et pour tous les goûts, semble ainsi ne pas trouver curieux d’aller rechercher quelques anciens modèles dans les cartons, de ré-exploiter de vieux filons. Comme on le fait dans le domaine de la chanson, en proposant à des stars des années 1960 – Richard Anthony, Demis Roussos, Frank Alamo, Michèle Torr… – de remonter sur scène pour interpréter leurs vieux tubes devant un public déjà conquis, on imagine de nouveaux destins pour ces vieux projets, les voyant déjà peut-être devenir les nouveaux « classiques » d’une histoire fabriquée.
Il est certes important que les modèles évoqués plus haut soient connus du grand public. Mais ne serait-il pas plus intéressant d’entendre ce que leur concepteur – toujours vivant – aurait à nous dire sur le design contemporain, de savoir quels projets il imaginerait aujourd’hui, à une époque davantage marquée par les problématiques environnementales que par la découverte du plastique ou de la mousse polyuréthane, à une époque où Internet, la mondialisation, les matériaux intelligents ou la domotique, l’épuisement des ressources naturelles, l’inégal accès aux bien de consommation courante devraient plus que jamais inspirer les créateurs…
À l’échelle du design et plus particulièrement du mobilier, ne concernant par sa taille que des enjeux relativement réduits, ce type d’incongruité peut passer inaperçu. Mais imaginons un instant qu’il soit appliqué à d’autres sujets ou d’autres disciplines, qu’un bâtiment soit aujourd’hui construit selon des plans et avec des techniques de constructions vieilles d’un demi-siècle, ou qu’un artiste propose demain une oeuvre dénonçant la société de consommation telle qu’on la percevait dans les années 1960 ! Vu sous cet angle, sous prétexte de revaloriser certains aspects de l’histoire du design, ce type d’initiative semble surtout décrédibiliser la pertinence historique de cette discipline et son éventuel rôle social.
Alexandre Cocco
le 14 novembre 2008 à 19 h 04 min
Je suis allée au vernissage de l’expo hier soir, ces sofas et ces tables sont tout simplement SU-PERBES !
le 15 novembre 2008 à 11 h 56 min
Comme de nombreuses pièces de Pierre Paulin, nous sommes tout à fait d’accord avec vous. On peut cependant s’interroger, comme essaie de le faire notre article, sur les modalités et la pertinence de telles rééditions : pourquoi les sortir aujourd’hui, sont-elles à considérer comme des « nouveautés » ou comme des témoignages d’une autre époque, quel public visent-elles finalement ?