Le design au service des citoyens?
Par Caroline Gagnon.
Le design a-t-il un rôle à jouer dans la qualité des services publics? Comment peut-il être une démarche innovante dans ce secteur? Comment peut-il transformer les manières de faire de nos institutions gouvernementales et de nos organismes paragouvernementaux et, du même coup, proposer des solutions encore peu explorées, plus adaptées et surtout plus humaines? Pour amorcer mes billets de blogue en cette nouvelle année universitaire, je vous propose une série de sujets qui alimenteront, de près ou de loin, cette réflexion. J’explorerai, en particulier, les défis que le design public doit relever afin d’être partie prenante d’une meilleure concertation des actions dans la livraison de services publics de qualité et plus humains.
Design public et design de service
Il convient d’abord de définir ce qu’est le design public et le design de service. Leur rôle respectif a été abordé dans un rapport du Design Council publié en 2013. Les auteurs y ont illustré les possibilités qu’offre le design en tant que méthodologie de l’innovation pour faire face à certains enjeux de la société actuelle: humanisation des technologies dans la livraison des services, réduction de la violence et des agressions dans les urgences par le réaménagement des espaces et la refonte des informations transmises, réorganisation et optimisation des services destinés aux chômeurs, introduction du design stratégique dans le gouvernement en Finlande, pour ne citer que ces exemples.
Le design public concerne toutes les interventions en design (pratiques de conception de l’image, des objets, des espaces, de l’interaction, des services et des politiques) appliquées dans des secteurs comme l’éducation, la santé, la mobilité, le transport, les infrastructures, etc. Il s’agit de projets partagés par tous et dédiés à la population en général. La pratique du design en contexte public devrait reposer sur un travail en équipes multidisciplinaires, sur l’engagement à l’endroit des usagers citoyens et sur l’étude du service public dans une perspective holistique en ayant le mieux-être des personnes comme finalité.
Quant au design de service, il est à l’intersection des différentes pratiques du design qui s’intéressent à l’ensemble des aspects d’un service. Sa mise en application s’effectue à partir de la compréhension fine de l’expérience du citoyen, acquise grâce à différents outils d’analyse. Cette approche sert, entre autres, à étudier les étapes que doit suivre une personne pour accéder à un service. Il s’agit donc de conceptualiser l’expérience humaine d’un service. La synthèse de cette expérience se fait à partir de différentes techniques qu’on appelle les personas (1) et les parcours-usagers (2). Leur but est d’identifier les éléments pivots sur lesquels diriger les actions à entreprendre pour améliorer l’expérience du service.
Une pratique encore récente
Depuis quelques années, les pratiques du design se sont transformées. On le remarque, entre autres, dans le design de produits où l’on emprunte des approches plus transversales et plus collaboratives, renversant le mythe du designer omnipotent, créateur héroïque et solitaire. Dorénavant, les usagers et les parties prenantes sont davantage intégrés au processus de création. Ainsi, le designer devient un médiateur et un interprète plutôt qu’un créateur solitaire. Il propose ainsi des solutions étroitement liées aux préoccupations des personnes concernées tout en considérant les contraintes technoéconomiques nécessaires à la réalisation d’un projet.
Le design de service s’inscrit dans ce courant. C’est une pratique interdisciplinaire du design qui analyse l’ensemble de l’écosystème des services pour en faire un tout cohérent, agréable et adapté aux attentes et aux besoins des personnes qu’il entend servir. Souvent associé au numérique, le design de service ne s’y limite pourtant pas. Il se penche sur une foule de détails qui touchent le quotidien des citoyens, mais aussi de ceux qui livrent le service (gestionnaires, préposés, etc.). En ce sens, faire du design de service peut mener à la fois à concevoir un comptoir de service à la clientèle, une salle d’attente, une signalisation livrée sous différentes formes, un site Web, une application ou un banc de parc. Le design de service couvre donc un large spectre d’interventions en design public. En résumé, le design de service, lorsqu’appliqué en design public, permet d’adopter une démarche englobante impliquant toutes les disciplines du design. C’est du moins selon cette large perspective que le Design Council le considère.
Le Parc olympique: un exemple de design de service
Pour illustrer concrètement à quoi peut ressembler un projet en design de service, je vous présente un travail réalisé cet été par un stagiaire de maîtrise en recherche et formation, Nadim Tadjine (3), qui s’est penché sur le cas du Parc olympique.
Le Parc olympique, parce qu’il est d’échelle monumentale en comparaison des autres bâtiments des quartiers environnants, soulève plusieurs défis d’orientation et d’accessibilité. Un nombre très important de personnes y gravitent. En effet, ce site figure parmi les attractions touristiques les plus visitées au Québec en plus d’être l’hôte de nombreux événements sportifs, culturels et communautaires. L’ensemble des activités qui s’y déroulent sont destinées à une population variée, qu’elle soit locale ou étrangère, visiteuse ou travailleuse, récréative ou sportive. Depuis quelques années, on s’efforce d’animer ce site par une diversité d’activités qui répondent aux besoins des représentants de toutes ces catégories.
Toutefois, la particularité des lieux fait en sorte qu’il est souvent difficile de s’y rendre, peu importe le mode d’accès choisi (métro, voiture, marche) et d’y déambuler. Plusieurs efforts ont été entrepris pour comprendre cette problématique et y remédier, par exemple en améliorant la signalisation sur le site. Le projet que je vous présente s’inscrit dans cette lignée. Il vise à bonifier l’expérience vécue par un citoyen qui se déplacerait au Parc olympique en favorisant la convivialité, l’efficacité de l’information, le confort et la cohérence des différents types d’aménagement qui le composent.
La méthode privilégiée par Nadim Tadjine pour réaliser son étude relève d’une approche empathique. Sa collecte de données visait à refléter le plus fidèlement possible l’expérience vécue par les différents usagers du site. Ainsi, plusieurs entretiens qualitatifs avec différents types d’usagers ont été réalisés. Ajoutons à cela une analyse en profondeur des installations existantes et l’observation en temps réel des déplacements des usagers en différentes circonstances et lors de différentes périodes du jour et de l’année.
En combinant l’ensemble de ces données, Nadim Tadjine a pu mettre le doigt sur plusieurs facteurs qui compliquent les déplacements autour du Parc olympique. Certains sont normatifs, c’est-à-dire qu’ils concernent des lacunes dans la signalisation et dans l’accessibilité universelle du site. D’autres sont de nature expérientielle et sont liés à l’envergure du lieu et à l’absence d’aménagements adéquats pour en amoindrir l’incidence.
Sans revenir en détail sur les résultats de l’étude, la démarche de Nadim Tadjine a permis de mieux saisir l’expérience vécue par les personnes qui ont eu à se déplacer au Parc olympique. Cette compréhension a mené à l’identification de quelques facteurs déterminants qui influencent leur parcours en fonction de leur destination. L’étude a, par exemple, permis de localiser différents micro-espaces sur le site qui pourraient faire l’objet d’interventions spécifiques comme des haltes de repos familiales, permettant à la fois de profiter des installations et de s’arrêter un moment, ou des zones protégeant du vent ou de la pluie lorsque nécessaire.
C’est donc en se basant sur ce genre d’analyses que des propositions de design émergent afin de répondre au mieux aux attentes réelles des personnes concernées. Si ces démarches ont le mérite de fournir aux designers et aux gestionnaires publics de nouveaux outils de conception, elles permettent également de redonner du sens à leurs interventions en les arrimant aux aspirations des citoyens dans une perspective plus humaine (4).
Revenons donc à ma question de départ: le design a-t-il un rôle à jouer dans la qualité des services publics? Et vous, qu’en dites-vous?
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(1) et les parcours-usagers. «Un persona est une construction fictive d’une personne réelle. On l’associe à l’idée d’un personnage, d’un archétype, d’un usager-modèle ou type. La particularité du persona est qu’il permet de saisir un usager à travers ses besoins et ses attentes, ses expériences, son mode de vie et sa manière de « vivre » et d’utiliser un service ou un produit. Un persona se développe sur la base de données issues d’un processus d’enquête et d’observation. Le persona n’est pas « inventé », il est plutôt construit de manière réfléchie et informée. Il n’est pas un stéréotype et doit par conséquent dépasser les clichés et les généralisations faciles. C’est à partir de différentes techniques d’enquête et d’observation d’usagers réels qu’il est possible de parvenir à « créer » un persona qui se rapproche le plus d’un usager réel. La description d’un persona s’accompagne généralement d’un développement de scénarios [ou parcours]» (Gagnon et al., 2012).
(2) Gagnon, Caroline, Valérie Côté et Christian Barré. (2012). Écouter, Voir, Raconter, Imaginer : comprendre l’expérience d’autrui par la méthode des personas en design. Document réalisé dans le cadre d’un projet d’intégration pédagogique, Université de Montréal.
(3) Tadjine, Nadim. (2015). Design de service et démarches empathiques. Au-delà de l’approche normative, une approche expérientielle. Mémoire de recherche présenté à l’Université de Nîmes dans le cadre du programme de Master Design, Innovation et Société.
(4) Gagnon, Caroline et Valérie Côté. (2014). «Learning from others: A five years experience on teaching empathic design». In Y-K. Lim, K. Niedderer, J. Redström, E. Stolterman & A. Valtonen (eds). Proceedings of DRS 2014: Design’s Big Debates. Design Research Society Biennial International Conference 16-19 June 2014, Umeå, Sweden. Umeå Institute of Design, Umeå University, Umeå, Sweden.
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Cet article a été publié une première fois sur le site ulaval.ca.