L’Objet en question(s): Tables Lamin par Jules Levasseur
La rubrique “L’objet en question(s)” présente des portraits d’objet ou de séries d’objets, par leurs créateurs: l’histoire de leur genèse, leurs contraintes, leurs enjeux… Aujourd’hui, le designer Jules Levasseur nous présente ses tables « Lamin », sélectionnées parmi les projets finalistes du concours Révélateur de Talent Cinna dans la catégorie Outdoor. Le designer formé à l’ESAD, nous parle aussi de sa collaboration fructueuse avec Métal Déployé, l’unique fabricant de métal déployé français. Interview :
Pourriez-vous nous décrire votre projet en quelques mots?
Ce projet est d’abord un projet de recherche sur les processus et les produits de l’industriel Bourguignon Métal Déployé, l’unique fabricant de métal déployé Français. Le métal déployé, c’est un produit semi fini qui s’assimile à un grillage, mais qui découle d’une tôle de métal qui est déployé par massicotage partiel. C’est un produit très commun que l’on retrouve partout, du garde corps au filtre automobile, en passant par l’habillage de façade, le principal marché de l’entreprise.
Comment ce projet vous a-t-il été confié?
J’ai proposé le projet pour une résidence de recherche au sein du centre culturel ARCADE (Sainte Colombe en Auxois, bourgogne). Mon projet a été retenu, le centre m’a mis en relation avec l’entreprise, située à une trentaine de kilomètre du site. Ensuite la collaboration a continuée en dehors du cadre de la résidence, directement avec l’entreprise.
Quels étaient, selon vous, les principales contraintes et les principaux enjeux de ce projet?
Les principales contraintes étaient celles internes à l’entreprise, les matières et les processus. S’agissant d’un cadre de recherche, il n’y avait aucune attente spécifique de l’entreprise. Elle m’a ouvert son savoir-faire de manière très généreuse, en misant sur un résultat qu’ils pourront valoriser en termes de communication. A l’époque, ils sont cependant dans une période de renouvellement, et d’initiative. Ils souhaitent renouveler leur produit, se positionner autrement et embauchent des serruriers pour fabriquer des produits semi fini pour l’architecture. Ils savent que la bataille du prix est perdue d’avance, ils misent sur la qualité (déjà de la matière première) puis sur la valeur ajoutée (transformer le produit en interne). Et comme de nombreuses entreprises Françaises, elles ne pensent pas au design comme moteur d’innovation, mais acceptent de le découvrir en me faisant confiance.
Au final, c’était l’enjeu: comment valoriser les post process de l’entreprise pour apporter de la valeur ajoutée sur un matériau pauvre, dans le but d’ouvrir la production à de nouveaux marchés ? Cela correspond tout à fait à ma démarche, je pouvais expérimenter les choses en toute liberté.
Quel était votre concept ou votre idée de départ?
L’idée de départ était d’expérimenter 3 échelles de métal déployé pour 3 types d’usages différents: petite maille pour des éléments fonctionnels de cuisine, moyenne maille pour du mobilier destiné à de l’édition et grande maille pour un projet plus lié à l’espace, et plus expérimental. Je souhaitais ainsi balayer 3 contextes très différents: l’outil, le rationnel et l’expérimental. Finalement, au gré des rencontres avec la matière et des contraintes, j’ai un peu dévié et je suis arrivé à 3 familles:
1 Des lampes à poser avec un vrai travail d’assemblage, un peu complexes, et qui présentent le métal assemblé avec le papier. Ces lampes valorisent notamment le graphisme de la maille.
2 Du mobilier plus rationnel pensé pour être fabriqué par Métal Déployé (où ici les contraintes étaient bien plus importantes du fait que l’entreprise ne fait pas de produits finis)
3 Du mobilier tapissé très haut de gamme, disponible uniquement sur mesure, fabriqué à partir de la plus grande maille disponible, réalisé en collaboration avec le tapissier Renaud Marin.
Suite à ça, nous avons monté ensemble une marque/studio de R&D pour la tapisserie nommé Studio Marin-Levasseur, et nous avons développé de nouveaux modèles grâce au soutien de la Fondation Banque Populaire.
Pourquoi le projet a-t-il, au final, cette forme et ce ou ces matériaux?
Par construction logique et par contrainte technique. Pour le projet LAMIN sélectionné par Cinna, j’ai souhaité rester sur des produits très très simples dans la mesure où je les destinais à l’édition. Après m’est venue l’idée de préciser les choses pour que ce soit l’entrepris même qui fabrique les objets. J’ai mis en place un principe très simple pour définir la collection: dessiner une surface fonctionnelle qui se déploie en volume, progressivement.
Pour les tables basses, la surface fonctionnelle est le plateau, et cette forme semble progressivement s’élever à la bonne hauteur pour être pratique. Pour la suspension BRUM, la surface fonctionnelle est le plein qui cache les systèmes lumineux, qui semble alors progressivement se développer dans l’espace à la manière de la brume. Les dimensions viennent ensuite par contraintes et par le format des machines.
Qui étaient vos interlocuteurs chez votre client, et avec qui avez-vous du collaborer?
Plusieurs interlocuteurs chez Métal Déployé, d’abord Alain Ouenne, chargé de prescription, mais aussi véritable initiateur et soutient pour me laisser la liberté nécessaire au développement. Ensuite, Cédric Pascal, chargé de production pour tout le suivi et les échanges avec moi. Ensemble, on travaillait sur les post-process, notamment le déploiement et le laminage de la matière. Une véritable relation est née au final, parce que mes recherches bouleversaient son quotidien, ce qui put être compliqué pour lui au début, pour finalement, je crois, y prendre goût. Et c’est ce que j’apprécie particulièrement. Il y a eu le chef d’atelier, Matthieux Roux, pour le prototypage des objets et leur mise en forme. Beaucoup d’aller-retour sur la faisabilité, et des conseils techniques sur la matière. Evidemment le directeur David Parisse, qui a perçu in fine le potentiel du design et son apport pour l’entreprise, et qui a accepté de me donner tous les moyens nécessaires.
Au total, combien de personnes ont travaillé sur ce projet?
Comprenant également les peintres (des échanges ont eu lieu avec Adapta, partenaire de Métal Déployé), les artisans qui ont, en externe, travaillé sur les expérimentations, une dizaine.
Quelles sont les difficultés que vous avez éventuellement rencontrées sur ce projet, et comment les avez-vous contournées?
La plupart des difficultés ont étés contournées en redessinant les objets, et faisant d’autres assemblages, en trouvant des astuces. C’était principalement de l’ordre structurel, ou d’usage, notamment comment traiter la découpe du métal déployé qui peut, à vif, vite devenir un rasoir. Le plus sympathique était la déformation de la maille progressive lors du laminage. Pour faire simple, en gardant une bande pleine de métal, qui se déploie petit à petit en s’affinant, on obtient de fait différentes résistance à la déformation sur un même format. Lorsque vous passez ce format au laminage, les bandes fines vont plus s’écraser et donc plus s’allonger que les parties pleines. On obtient alors un format trapézoïdal avec les longueurs qui flanchent. Les mailles alors se décalent, à partir du moment où vous recoupez le format de manière rectangulaire.
On a résolu le problème, en passant le feuille dans l’autre sens, et en minimisant les écarts de déploiement.
Sur combien de temps s’est déroulé ce projet?
Je dirais 2 ans, malgré le fait que le temps de résidence devait être de quelques semaines.
Rétrospectivement, changeriez-vous aujourd’hui quelque chose à votre projet?
Ce serait sympa de faire des déclinaisons avec d’autres métaux (laiton, inox) et de jouer des finitions du métal.
Et pour finir, où en est ce projet?
Ce projet aujourd’hui à plusieurs formes. J’ai initié, du fait de ne pas avoir de retours encourageant avec des éditeurs, de lancer mes auto-productions. J’ai les petites lampes à poser LATI que je fabrique moi même, les tables basses et la suspension BRUM que je fabrique en collaboration avec Métal Déployé, et les produits tapissés qui sont disponibles auprès du Studio Marin-Levasseur. Tout est fait à la demande, ce qui offre une grande adaptabilité avec les projets des prescripteurs, et les marges sont clairement réduites. Maintenant il y a le concours CINNA et cela peut changer la dimension du projet, notamment sur les tables basses. Pour eux, ce sera très facile puisque tous les essais techniques et les problèmes rencontrés ont été déjà résolus. On a des prix, tout est prêt, il faut juste adapter les dimensions et les couleurs au catalogue, et considérer quelles opérations sont faites et dans quelle entreprise. Et en plus, ils peuvent aisément élargir et adapter la gamme à d’autres produits, comme je l’ai fait avec l’horloge que j’ai dessinée pour un client.
Pour moi, une telle collaboration validerait enfin ma démarche, qui cherche à connecter des entreprises au savoir-faire bien spécifiques aux réseaux de la décoration. Dans le but de puiser de nouvelles formes, créer des réseaux locaux, et faire évoluer le travail au sein de ces entreprises.
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Pour découvrir plus de travaux de Jules Levasseur, visitez son site internet.
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