Interview : Rencontre avec le designer Damien Béal
A la frontière entre l’artisanat, l’artisanat d’art et le design, Damien Béal ne s’interdit rien dans ses créations. Menuisier de formation, il s’adonne à la conception de projets variés, allant du mobilier aux luminaires en passant par la maroquinerie et la bijouterie. Un véritable artiste installé à Versailles qui a accepté de nous parler de son parcours, de sa manière de travailler et d’envisager le design. Interview :
Bonjour Damien, peux-tu nous dire quelques mots sur ta formation et ton parcours professionnel ?
Ma formation première, c’est la menuiserie. J’ai commencé à 14 ans dans un lycée professionnel parisien pour passer mon CAP. Après cela, je me suis dirigé vers les Compagnon du Devoir. Je suis resté 4 ans sur le tour de France, où j’ai passé mon BEP. J’ai arrêté mon tour quelque temps avant de devenir compagnon, donc je suis aspirant sédentaire.
8 mois après cette expérience j’ai décidé de me lancer et monter mon entreprise à 21 ans. Je suis indépendant depuis cette époque. Au début, j’ai fait de la menuiserie traditionnelle, escalier, portes, agencement… Pendant les dernières années de cette étape, j’ai commencé à imaginer mes propres projets, proposer mes créations. J’ai ouvert une première boutique où je vendais quelques luminaires, du mobilier… C’est l’époque où j’essayais au maximum de diminuer l’aspect sur-mesure pour développer mes créations, telles que je les imaginais personnellement ! 2 ans plus tard, j’ai été contraint de fermer cette boutique ainsi que cette première boite.
J’ai profité du temps que cela me dégageait pour bricoler. J’avais conservé mon atelier, donc j’y allais pour travailler pour moi. Avec du recul c’était une année de recherche et d’introspection, une année pour trouver le chemin, où j’ai eu beaucoup plus de temps pour penser au design, au développement d’objets. Je me suis interrogé pour revenir sur le marché de l’emploi, mais avec mon parcours de menuisier ce n’était pas évident, les gens sont frileux lorsque l’on ne sort pas d’une école de design.
Quel a été le déclic ?
Totalement par hasard, durant cette année, on m’a demandé de réaliser un sac tout en bois pour un défilé de mode. Après avoir réalisé ce sac, l’idée m’est venue de réaliser un sac en bois en y ajoutant une autre matière. Un sac tout bois, c’est très bien pour un défilé, mais au quotidien ce n’est pas idéal ! J’ai donc réalisé un sac en bois et cuir. Il y a rapidement eu un petit engouement, j’ai donc décidé de poursuivre. C’est le déclic qui m’a poussé à commencer le travail du cuir. Après des années dans la menuiserie avec des hauts et des bas, je me suis dit qu’il était temps de me lancer pleinement dans cette nouvelle aventure.
Tu présentes actuellement la loupiote, pourrais-tu nous présenter ce projet ?
Je travaille surtout à l’instinct pour la partie créative. Pour développer mes projets, notamment les luminaires, je commence par travailler à partir de papier pour mettre en volume. Ce qui est intéressant et déroutant lorsque l’on travaille le cuir, c’est qu’une partie du résultat n’apparaît que lorsque l’on manipule le matériau, il y a une grande part d’aléatoire, et donc cela nécessite de créer beaucoup de prototypes avant d’obtenir le résultat escompté, notamment au niveau des proportions. Le cuir a une souplesse, mais aussi une résistance qui impose un volume qui n’est pas initialement prévu. Cela rend l’exercice de développer un projet tel qu’on l’imagine assez complexe, mais qui parfois réserve aussi de bonnes surprises en produisant des effets imprévus et pourtant très réussis.
Sur le luminaire, il y a de nombreuses contraintes, notamment au niveau des normes. Faire tester les luminaires pour les faire normer coûte cher, donc j’ai dû imaginer un abat-jour qui s’adapterait sur un système électrique déjà normé. J’ai donc cherché une entreprise partenaire capable de me proposer des systèmes déjà normés, sur-mesure et totalement personnalisables. Finalement de cette contrainte est né un avantage puisque ce mode fonctionnement me permet de proposer à ma clientèle un large choix pour personnaliser leur luminaire.
Pour Empreintes, qui est la boutique des Ateliers d’art de France, il y a un roulement dans les pièces exposées pour que tout le monde ait de la place. Ce système de roulement, c’est aussi l’occasion de montrer à un public parisien une création un peu différente. Par exemple, la grappe de loupiotes qui y est exposée actuellement, n’avait jamais été montrée ailleurs. Le lieu est magique, il y a de la place, de la hauteur sous plafond, tout un univers, donc c’est l’occasion d’imaginer de nouvelles choses pour s’adapter au lieu.
Quels sont tes matériaux de prédilection ?
Aujourd’hui c’est assez amusant car la plupart des gens pensent que je suis maroquinier alors que ce n’est pas du tout le cas, je conserve l’âme d’un menuisier… qui travaille le cuir !
Aujourd’hui je peux dire que j’ai atteint mon objectif qui était de vivre de mes sacs. C’est le cas depuis quelques années. Cette activité me permet aussi de financer mes envies créatives. Je suis totalement en auto-édition, et cela me donne une grande liberté. Je peux créer des lampes, j’ai sorti une bague il y a peu, je continue à produire du mobilier en série limitée ou en pièce unique, j’ai créé un vélo en bois. Je suis libre de développer mes idées grâce au travail des sacs. Ce qui m’anime par-dessus tout, c’est de développer des objets, et parfois il faut même que je me canalise car j’ai 4 ou 5 objets en tête en permanence ! Je n’ai pas du tout envie de me donner de limites !
Comment juges-tu ton parcours ?
Pour être très honnête, je me suis rendu compte qu’arriver dans le monde du design sans sortir d’une école de design serait très compliqué. Je ne connaissais pas forcément tous les codes. J’étais entre l’artisan, l’artisan d’art, le designer, c’était compliqué d’intégrer une structure avec mon parcours. C’était frustrant, et finalement, le mieux pour arrêter cette frustration a été de faire par soi-même ! Finalement c’est une démarche que l’on voit beaucoup avec les makers, j’ai simplement opté pour cette démarche avant même l’apparition des fablabs.
Le meilleur moyen de montrer ce que l’on sait et ce que l’on peut faire, c’est de le développer.
Quelle est ta méthode de travail habituelle ?
Elle diffère en fonction des objets. Par exemple, je travaille actuellement sur un tabouret et je passe par énormément de croquis. Quand j’obtiens un résultat qui me semble intéressant, je passe à la modélisation 3D. Une fois cette étape satisfaisante, je retrouve de nouveau sur le papier pour réaliser des dessins techniques. C’est quelque chose que j’ai gardé de ma formation de menuisier. Dans cette étape je travaille le projet en 2D de manière traditionnelle à l’échelle 1 avec un compas, une équerre… C’est cette étape qui me permet de me lancer dans le prototypage.
Pour les objets comme les sacs ou la petite maroquinerie, c’est plus rapide, souvent quelques croquis puis très rapidement au prototypage. Quand les projets sont complexes et que je sais que des essais seront nécessaires, je vais remplacer le cuir par de la moquette ! La moquette possède une certaine rigidité qui peut se rapprocher de celle du cuir, cela me permet de rater sans gaspiller de matière première « noble ». En bref, ma manière de faire va beaucoup différer en fonction du projet sur lequel je travaille.
Pour le luminaire la Loupiote, j’ai utilisé beaucoup le papier, mais à un moment, il est indispensable de façonner le cuir pour de se rendre compte de la manière dont le matériau va réagir et j’ai vite besoin de toucher la matière.
Quel conseil donnerais-tu à un jeune designer ?
Avec toutes mes années d’expérience, je dirais que le meilleur conseil serait de ne jamais perdre son objectif ni de se travestir. L’exemple pourrait sembler étrange, mais quand on veut vendre des pains au chocolat, il ne faut pas faire de croissants ! Ça démarre dès le choix des études, même si les chemins peuvent évoluer et s’affiner, il faut savoir garder le cap ! Il faut faire attention, parfois, avec les contraintes financières on peut être tenté de faire de l’alimentaire, mais le risque c’est de se perdre !
Photographies (sauf mention) : © Damien Béal
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