Le designer après Copenhague
Par Christian Guellerin, directeur de l’Ecole de Design de Nantes Atlantique.
2009 aura marqué de son empreinte ce début du 21ème siècle. Deux faits marquants semblent précipiter l’avènement d’un monde nouveau. Deux évènements qui pourraient nous désespérer si nous n’étions pas « designers » et donc dans la situation de devoir, tel Sisyphe, construire et re-construire ce qui nous entoure. D’abord, le capitalisme financier qui a chancelé sur ses bases, a remis en cause tous les paradigmes industriels du développement et de la création de richesse. Le monde économique va devoir reconsidérer les modèles de sa réussite.
Par ailleurs, l’échec du récent sommet de Copenhague qui a révélé l’impuissance des Etats à se mettre d’accord sur un contrôle du développement, a néanmoins permis une sensibilisation déterminante des enjeux écologiques qui pourrait conduire à une ré-industrialisation des territoires, alors que l’on pensait qu’ils étaient condamnés à un déséquilibre faisant de la Chine, de l’Inde ou du Brésil, les usines du monde entier. Est-il bien raisonnable pour les occidentaux d’acheter des panneaux solaires en Chine 10 fois moins chers, quand ceux-ci arrivent par bateau ou pire par avion rendant un bilan carbone définitivement aberrant. Copenhague nous apprend que ce problème ne sera pas réglé – du moins pas tout de suite – par les « politiques ». Et pourtant, il va bien falloir agir.
Les entreprises industrielles doivent redessiner leurs modèles
Le capitalisme financier, où le développement et la création de richesse n’allaient qu’à la richesse, le financier qu’au financier, a montré ses limites et a vacillé sur ses bases. Il est difficile de s’en réjouir tant les conséquences et les dégâts sont encore peu mesurables. Le récent rétablissement des banques et des marchés boursiers est néanmoins plutôt rassurant tant un effondrement total aurait précipité une débâcle aux conséquences sociales désastreuses.
Mais, la crise financière a révélé une crise industrielle beaucoup plus profonde et beaucoup plus préoccupante. Le monde industriel va devoir se reconstruire et ce chantier est un formidable terrain de jeu pour le designer. Placé au coeur des entreprises, il va y tenir un rôle stratégique clé.
L’émergence de la Chine, de l’Inde, du Brésil et demain du Laos ou du Cambodge où l’on trouvera des prix de production de plus en plus bas, bouleverse depuis quelques décennies l’organisation industrielle du monde. Au point même que certains grands pays occidentaux – comme l’Angleterre – ont mené des politiques très volontaristes pour se séparer de pans entiers de leurs industries. La quasi-faillite de « GM » aux Etats-Unis témoigne de façon éloquente de la fin des modèles industriels nés au début du siècle dernier.
La « globalisation », l’ouverture internationale et la libéralisation des marchés ont obligé les industries occidentales à rationaliser leurs coûts et leurs process à l’extrême réduisant ainsi leurs capacités à innover et à créer. La définition vertueuse des « politiques de qualité » qui ont conduit le management des entreprises depuis les années 1980 a précipité leur perte. Faire de mieux en mieux ce que l’on sait faire est une logique qui « va dans le mur » dès lors que les conditions de la concurrence ne sont pas garanties à l’échelle de la planète. Dans bien des cas, la démarche qualité n’a conduit qu’à un management désastreux centré sur les procédures et la gestion des coûts, fondamentalement vaine car inégale, et a conduit à un tropisme financier faisant le lit d’un capitalisme qui est aujourd’hui remis en cause.
Les modèles industriels sont à revoir. Et il s’agit de restaurer la capacité des entreprises à créer et à innover, en un mot à entreprendre. Innover pour se démarquer, se différencier et générer de la valeur ajoutée, pour réfléchir à demain, et conduire ainsi des politiques stratégiques qui donnent le « coup d’avance » sur lequel va pouvoir être ordonné le développement des structures. Pour beaucoup d’entreprises, la gageure va être probablement de sortir des logiques – et surtout des filières – industrielles qui constituent leurs univers économique et culturel, et leur histoire. Car, l’enjeu est là : l’entreprise innovante est celle qui est capable de se poser la question suivante « avec ce que je sais faire, et bien faire, que puis-je faire que je ne connais pas ? Quels produits, sur quel marché, pour quels usages que je n’ai jamais appréhendés, vais-je pouvoir demain appliquer mon savoir-faire ? »
Devant la concurrence des produits manufacturés à bas prix, les entreprises implantées en occident vont devoir fondamentalement revoir leur mode de pensée, pour qu’elles soient en capacité de muter et de changer de métier extrêmement rapidement. Le salut de « GM » a probablement cessé d’être dans l’automobile équipé du moteur à explosion, l’y maintenir est probablement une erreur. Et si, le métier de Renault, qui communique aujourd’hui largement, était demain de distribuer de l’électricité… Incongru peut-être, mais qui pouvait penser, il y a 20 ans que Bouygues deviendrait une entreprise multinationale de communication de 1er plan. Cette capacité des entreprises à muter, à innover, à entreprendre, à emprunter des chemins de traverse, devrait réserver aux designers de réelles opportunités d’occuper enfin les postes stratégiques de direction du développement, avec la responsabilité managériale d’entraîner la structure et les personnels sur la voie du changement.
Restaurer une morale entrepreneuriale ?
Le sommet politique de Copenhague a échoué : les politiques n’ont pas réussi à légiférer pour contrôler le développement économique. Néanmoins, Copenhague aura marqué la naissance d’une conscience politique partagée et affirmée par tous. Il faut espérer que, débarrassés enfin de leurs rivalités, les Etats sauront très prochainement légiférer pour rééquilibrer le développement industriel et commercial sur une échelle globale.
Est ce que pour autant cela va rendre le capitalisme vertueux ? Evidemment, non ! En tant que système « techno-scientifique », le capitalisme est définitivement dénué de morale. L’entreprise a vocation à faire du profit, le marketer à vendre pour répondre aux besoins, le technicien à améliorer la productivité… Tout est d’affaire d’intérêt, rien n’est fait par devoir. La Morale ne me paraît pas une des données du modèle capitalisme en tant que système économique. Aucune entreprise ne produit, ni ne vend par devoir mais toujours par intérêt.
Pour autant, il va bien falloir que le « développement économique » s’accorde désormais au « développement durable ».
Les politiques ont momentanément échoué, le capitalisme ne peut rien : il reste à l’Homme à agir et à retrouver un certain sens de la vertu à produire et à consommer… Il s’agit de retrouver au cœur de l’économie du sens et des vertus collectives, d’admettre que l’on peut – que l’on doit – vivre différemment. C’est probablement cette conscience-là qui fera « bouger les politiques » et va obliger les entreprises à développer des modèles d’ »entrepreneuriat » plus respectueux de l’environnement.
Le contexte est favorable aux mutations, aux innovations. Pour les entreprises, les opportunités offertes par le « développement durable », par l’économie verte sont très importantes. Elles déterminent une nouvelle ère de croissance.
Il s’agit de repenser différemment l’économie, créer, produire, vendre, gérer, et probablement placer le social comme une problématique majeure de l’entreprise qui a de l’avenir. C’est vers les produits de cette entreprise que les consommateurs responsables vont se tourner.
Le designer a la responsabilité de réfléchir aux nouveaux produits, aux nouveaux emballages, aux nouveaux espaces, aux nouveaux outils multimédias… Par sa capacité à décrypter les scenarii de demain, il est devenu au sein même des entreprises une compétence stratégique car il y inscrit une réflexion sur le développement et sur l’avenir. Le designer crée, innove, sa logique n’est ni fondamentalement scientifique, ni fondamentalement économique, il échappe ainsi aux déterminismes trop marqués des logiques de production et/ou de marché qui empêchent nombre d’entreprises d’évoluer. Le designer est l’artisan opérationnel du développement des entreprises qui doivent sortir de leur champ de référence culturelle.
Si l’ingénieur a la clé de l’innovation et du développement technologique, le « marketer » du développement des ventes et de l’activité économique, le designer a lui le trousseau d’une recherche permanente sur les grands enjeux socio-économiques où l’ »Homme » et les usages sont au centre des problématiques. Parce que sa réflexion sur l’innovation intègre la technologie, l’économie, les sciences humaines, il redonne de fait une vertu à toute création de valeur au sein même des entreprises. Parce qu’il place l’ »Homme » et les usages au centre de sa démarche de création, le designer a la responsabilité de replacer le développement économique au service de l’Humanité. Son action est déterminante pour restaurer un « entrepreneuriat » vertueux et pour produire de la richesse dans le sens d’un progrès pour tous.
le 13 janvier 2010 à 8 h 01 min
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le 13 janvier 2010 à 9 h 58 min
Voir cette étude de 2004 sur éthique et entreprise. Il me semble que le paradigme a changé en France…Mais comme nous sommes entre une Europe en chantier,des Américains qui s’accrochent à leur hyperpuissance et des Bric (surtout Chine Inde ) qui voit arriver l’ heure d’être des grandes puissances, l’évolution se fera à la fois par les choix des individus, par la nécessité individuelle, entreprise et etat (fin de l’énergie et des matières premières bon marchés) et toujours par l’intérêt des capitalistes et des entrepreneurs…
http://www.journaldunet.com/management/0404/040433_ethique.shtml
le 13 janvier 2010 à 11 h 00 min
Christian Guellerin, s’incrit toujours dans le cadre du design industriel mais il oublie les designers non industriels qui travaillent non seulement avec des matières premières ou des materiaux industriels mais avec des matières dernières. Des designers travaillent aussi avec des artisans. C’est d’ailleurs l’une des clefs du succès du design italien et hollandais. Ceci n’exclue en rien les nouvelles technologies aussi dans le matériau,dans le process de fab ou de commercialisation…. + l’artisan numérique …+ fablab + le designer fabricant….
le 13 janvier 2010 à 21 h 01 min
[...] This post was mentioned on Twitter by Laurent DEMONTIERS, Veilleur Design. Veilleur Design said: Le designer après Copenhague: Par Christian Guellerin, directeur de l’Ecole de Design de Nantes Atlantique. 200.. http://bit.ly/6tkIGN [...]
le 14 janvier 2010 à 12 h 01 min
Pour illuster mon propos sur le designer non industriel, c’est un paradoxe, rien ne vaut un bon PDF qui parle d’un designer non industriel hollandais qui emploie plus de 60 personnes…un autre paradoxe?
Le paradigme a changé, l’avenir sera parodoxal ou ne sera pas ( pour parodier un ancien ministre de la culture)
http://www.esadse.fr/postdiplome/Azimuts/pdf/33__Azimuts33_auto-production.pdf
le 14 janvier 2010 à 13 h 02 min
De Nantes à Neuveville….
L Atelier oï est installé dans un ancien motel devenu le m(oï)tel dans un village de 3400 habitants,la Neuveville en Suisse Leur Philosophie, leurs outils, leurs methodes se rapprochent des ateliers d’Eindhoven qui dominent selon certains experts , le design mondial et pas seulement le design conceptuel… Cependant la video montre qu’il y a des ponts entre ces 2 types de design
http://www.tsr.ch/tsr/index.html?siteSect=500000#tab=search;vid=10985537