In Progress?
Par Alexandre Cocco.
En accueillant, jusqu’au 12 septembre prochain, l’exposition In Progress, le musée du Grand-Hornu Images se propose d’interroger, au travers d’une sélection d’une dizaine de projets de designers ou de collectifs européens, le dialogue que le design entretient avec la notion de progrès.
Partant du constat que le design ne peut plus être uniquement considéré – comme il l’a été à une certaine époque – dans sa propension à améliorer le cadre de vie et à apporter des réponses formelles à des problèmes usuels, l’exposition nous invite à nous demander « à quelle forme de progrès les designers peuvent faire référence maintenant », et de quels outils ils disposent pour interroger ou faire évoluer leur pratique.
Car la discipline, en participant à la surconsommation qu’elle dénonce parfois, en se diluant d’autres fois dans des errements formels que certains lui reprochent, ne peut en effet aujourd’hui faire l’économie d’un questionnement sur ses pratiques et sa finalité.
Voilà pour le postulat de départ.
Pour y répondre, les travaux des designers retenus par Jeanne Quéheillard, Nestor Perkal et Laurence Salmon, les initiateurs de l’exposition, se déploient dans plusieurs directions.
Le collectif Delo Lindo présente une série d’objets à la fois industriels et artisanaux, utilisant des matières naturelles et aléatoires, et que l’on a envie de réparer lorsqu’ils sont abîmés (image d’introduction).
Wieki Somers propose des objets « mémoriaux » fabriqués avec les cendres de personnes défuntes, conférant une dimension symbolique forte à des objets courants.
Ana Mir et Emili Padros imaginent un module de stockage urbain – mi-poubelle mi-brocante – destiné à rendre disponibles les objets que nous n’utilisons plus mais qui fonctionnent encore.
Sébastian Bergne soulève, à sa manière, la question de l’économie de matière en imaginant des poids de volumes identiques mais de masses différentes.
Le collectif Big-Game interroge, quant à lui, l’évolution formelle de la voiture, partant du principe qu’une typologie est porteuse de sens et qu’elle révèle les préoccupations qui, selon les époques, y sont attachées.
Etc. (d’autres travaux de Matali Crasset, d’Etienne Mineur, de Satyendra Pakhalé ou de l’artiste Pierre Leguillon sont également exposés).
On pourra reprocher, à tort, à ces réponses de n’être que partielles, et de ne pas proposer d’approche plus globale de la question posée. Ce serait oublier que par essence, le design est la discipline des micro-interventions et de la petite échelle, et que son degré de pertinence ne se mesure pas à l’ampleur des projets sur lesquels il s’applique.
Ce serait oublier, aussi, que les visions dogmatiques ont fait leur temps, et qu’il est fort probable que ce soit dans l’addition de bonnes pratiques ou de bonnes idées que se trouvent aujourd’hui une des solutions possibles.
Les projets présentés, sans prétendre être exhaustifs, montrent ainsi avec quels types d’approches le design est capable d’intégrer ce questionnement face au progrès, et de quelles manières les designers peuvent agir en se demandant quoi et comment produire.
Il leur reste maintenant, et la tâche n’est pas mince, à essayer de généraliser ces pratiques, à leur imaginer une viabilité économique, à trouver les circuits de production/distribution/consommation qui pourraient les accueillir, et à convaincre les industriels de s’y inscrire et de s’engager dans d’autres process commerciaux.
Car tant que ces derniers élaboreront leur modèle sur le renouvellement des objets plutôt que sur leur réparation (Delo Lindo) ou leur récupération (Ana Mir et Emili Padros), tant qu’ils ne se questionneront pas sur la quantité de matière minimale permettant de répondre à une fonction donnée (Sébastian Bergne) ou sur l’intérêt d’apporter des évolutions typologiques plutôt que réellement fonctionnelles (Big Game)… les initiatives des designers seuls – si intéressantes soient-elles – ne suffiront pas.
Pour aller plus loin: un catalogue, rassemblant les projets présentés mais aussi des textes du philosophe Pascal Chabot et du designer théoricien Andrea Branzi, ainsi que les interventions retranscrites de différents experts invités, est publié aux éditions Monografik.
Cet article est paru, dans une version légèrement différente, dans le magazine d’A n°192.