Ergonomie & économie d’expérience?
Par Raphaël Yharrassarry.
L’ergonomie serait-elle à la base de l’économie d’expérience telle que la définissent B. Joseph Pine II et James H. Gilmore dans leur article « Welcome to the Experience Economy » ?
Je lisais un article publié sur cuk.ch qui parlait de téléphonie mobile, d’Apple, de Nokia et d’économie de l’expérience. Dans les commentaires qui ont suivi, on m’a fait remarquer que les marques de luxe ou de mode avaient aussi souvent un département « Design, Direction artistique » comme c’est le cas chez Apple. Mais revenons-en à l’économie d’expérience.
L’économie d’expérience
Pine et Gilmore la définissent comme l’étape suivante de l’économie. Le modèle économique est traditionnellement basé sur trois secteurs (primaire : matières premières et agriculture, secondaire : manufacturier et tertiaire : service). L’économie d’expérience est le quatrième secteur. Initialement pour un gâteau d’anniversaire, il fallait acheter de la farine, des œufs, du beurre, etc., et le préparer, puis on a pu acheter les ingrédients pré-mélangés, ou le gâteau tout fait dans un supermarché. Aujourd’hui, c’est l’anniversaire dans son ensemble qui est proposé et qui coûte 100 fois plus chère que les ingrédients de base.
On a donc 4 niveaux économiques :
- Extraction des matières premières.
- Fabrication de produits.
- Fourniture de services.
- Mise en scène d’expériences.
Il est aussi difficile pour une entreprise de passer du service à l’expérience que de passer du produit au service.
Les caractéristiques
Si l’on compare les 4 niveaux en fonction de plusieurs facteurs, ça donne cela :
Deux points me paraissent intéressants, le fait que ce soit « mémorable » et ce soit « révélé sur la durée ». « Mémorable » ce qui nécessite donc que « l’invité » s’implique dans le processus de manière cognitive afin de le mémoriser. Ce n’est plus un acte d’achat ponctuel, mais bien un processus qui dure. Cela change beaucoup choses, car actuellement même les services sont souvent vendus comme des patates! Que ce soit du conseil en entreprise, ou de la téléphonie, on essaye de vous maintenir captifs, au lieu d’obtenir votre engagement librement consenti.
Au contraire, si c’est réussi, vous continuerez à participer volontairement à cette expérience. Vous en parlerez autour de vous et vous serez le meilleur prescripteur qui existe!
Comment créer une expérience mémorable?
Les auteurs proposent cinq points essentiels à respecter pour créer une expérience réussie :
- Donner un thème : Il est nécessaire de définir clairement celui-ci et de si tenir. L’invité pourra identifier facilement le sujet qui ne devra pas être ambigu.
- Harmoniser les impressions avec des actions positives : Le but est de donner une impression générale qui soit cohérente avec le thème, cela peut passer par de petites attentions, comme la phase d’accueil, l’organisation, ouvrir 10 minutes avant l’heure, fermer 10 minutes après…
- Eliminer les actions, les sensations négatives : Il est nécessaire de veiller à la suppression de tout ce qui pourrait perturber l’expérience. Par exemple, éviter d’interrompre l’expérience avec des messages, mais les présenter d’une manière discrète.
- Laisser un souvenir : Il peut être opportun de proposer un souvenir de l’expérience, un tee-shirt personnalisé avec la date et le lieu, une vidéo…
- Utiliser les 5 sens : Plus les sens sont sollicités, plus l’expérience sera mémorable.
C’est la juste combinaison de ces cinq points qui permettra de différencier un service classique d’une expérience.
Un exemple dans le monde des IHM?
Je prends un classique, iPod, oui c’est un classique maintenant! Vous dites encore « lecteur de MP3″?
- Le thème est donné sans ambiguïté : Toute votre musique dans votre iPod.
- Harmoniser l’expérience : Vous avez déjà acheté un produit Apple? L’expérience commence dès l’emballage, le packaging est généralement très bien fait. Même les Apple stores ou les corners dans les magasins ont un design spécifique et marqué.
- Actions négatives : La prise en main d’un iPod est vraiment très rapide, donc pas de freins à l’expérience. L’intégration iTunes + iPod évite tous les problèmes classiques.
- Laisser un souvenir : C’est un peu ambigu sur ce point-là. Le souvenir est l’iPod lui-même ou les autocollants Apple?
- Les 5 sens : L’iPod a un design marqué, l’interface est graphiquement propre, jusqu’à la qualité du « clic » sur la mollette rotative qui à aussi son importance.
Si vous regardez la concurrence, vous trouverez rarement tous ces points réunis. Vous trouverez de beaux produits, performants, mais aussi bien vendu et présenté que des pots de yaourts. Même s’il y a des pots de yaourts très bien vendus, avec une notion d’expérience, comme chez Michel et Augustin.
Le rôle de l’ergonomie dans l’économie d’expérience?
Et l’ergonomie dans tout ça? Je pense qu’on peut intervenir au moins sur trois points : Harmoniser l’expérience, supprimer les points négatifs et utiliser les 5 sens.
Il est clair que supprimer les points négatifs et les blocages fait parti du pain quotidien de l’ergonome. L’analyse de l’activité ou l’observation des utilisateurs en situation permettent d’avoir une compréhension globale de la situation. L’idée d’expérience utilisateur n’est pas nouvelle. Elle recoupe clairement l’idée à la base de l’économie d’expérience.
L’utilisation des 5 sens nécessitera sans doute l’intervention de spécialistes, comme des graphistes et des designers sonores, mais le traitement cognitif de ces informations a aussi son importance. Comme souvent trop d’informations en même temps peuvent créer un stress et donc une sensation négative. La difficulté étant de faire simple.
Ce qui doit être mémorable c’est l’usage, la sensation, l’impression globale qu’a l’invité. L’ergonomie doit être, au contraire, invisible, transparente pour laisser toute sa place à l’expérience!
Cet article a également été publié sur le site blocnotes.iergo.fr.
Ergonome IHM freelance depuis 2000, Raphaël Yharrassarry travaille régulièrement avec des grands comptes sur l’analyse de l’activité, la conception de services et d’applications, l’expérience utilisateur pour le grand public ou les professionnels. Issu d’une formation en psychologie et ergonomie à Paris 5 en 1999, il a réalisé depuis de nombreuses missions sur tous types d’applications ou de services, de la conception d’outils professionnels (CRM, supervision,…) , aux services grand public sur le web, les téléphones mobiles ou la télévision. Il tient un blog sur l’ergonomie et la conception (http://blocnotes.iergo.fr/) d’IHM depuis 2009.
le 10 septembre 2010 à 16 h 47 min
Intéressant de lire un peu d’ergonomie dans une revue du design… et si rare !
le 10 septembre 2010 à 17 h 29 min
Je vais un peu forcer le trait .En temps que concepteur de services,de vendeur de franchises par exemple , je vous vends des packages clairs : des anniversaires d’enfants Mac Donalisés ou des espaces enfants dans des boutiques d’adultes avec des mini chaises Kartell ou Vitra et un tabeau noir ….En quoi ai je besoin d’un ergonome ?
le 24 septembre 2021 à 13 h 43 min
[...] Ergonomie & économie d’expérience?, un article de Raphaël Yharrassarry sur le rôle de l’ergonomie dans l’économie d’expérience? (via larevuedudesign). [...]