Les implications culturelles du design et de ses théories
Par Clément Gault.
L’aspect culturel est peut-être un élément à prendre en compte lors de la recherche en design. Le design ne véhicule pas complètement le même sens entre l’anglais et le français et il est légitime de réfléchir comment en sont impactés les théories. De prime abord, il semble légitime de penser que les théories afférentes vont un tant soit peu se différencier. Pourtant, le design selon l’acceptation francophone et celui selon l’acceptation anglo-saxonne partagent de nombreux points communs dans leurs épistémologies réciproques. Le principal élément en commun reste le constat partagé sur le fossé existant entre la théorie et la pratique. Les antécédents historiques issus du Bauhaus forment aussi un de ces consensus. Mais de nombreuses autres références similaires dans de diverses disciplines sont aussi présentes. Les évocations implicites des travaux d’Herbert Simon (économiste américain) dans les corpus scientifiques sur ce qu’il appelait « les sciences de l’artificiel » forment un bon exemple. Ainsi, des référents culturels anglo-saxons et européens sont présents des deux côtés de l’atlantique. Afin d’appuyer ce postulat, le texte partira du point de vue anglo-saxon pour finir sur la recherche théorique francophone en cours.
Théories et impacts culturels
Dans le monde anglo-saxon, et en particulier aux États-Unis, la recherche en design est pourtant parfaitement établie. De nombreuses universités proposent un 3ème cycle menant à un diplôme de doctorat. Des centres de recherche, des conférences ainsi que des publications à comité de lecture existent et sont très actives (Design Issues et Design Studies sont les plus connues). Les réflexions théoriques sont en partie basées sur l’étude en profondeur de la pratique, donc l’application de théories. En revanche, il existe moins d’écrits sur l’enrichissement épistémologique.
De ce fait, il est clair que le design selon l’acceptation anglo-saxonne est vu comme l’application de la science de la conception et ses applications ne semblent pas connaître de limite. Dans cette posture, le design se répand, souvent au grès des progrès technologiques et scientifiques, vers des disciplines nouvelles. Souvent prospectives, ses implications consistent à établir des théories de la conception sur de nouvelles disciplines, comme si le design toujours en tant que science de la conception, pourrait s’établir naturellement sur un grand nombre de domaines.
La collection réalisée par le designer/chercheur Hugh Dubberly intitulée How do you design? [1] est particulièrement éloquente à ce sujet. Elle regroupe plus d’une centaine de « descriptions of design and development processes » dans un large panel de disciplines allant de l’architecture, au développement de logiciel. Le design est montré ici comme une science appliquée qui jouit outre-Atlantique d’un courant de recherche prolixe et dynamique.
La situation de la recherche en design dans les pays francophones peut sembler à première vue en retard vis-à-vis de la situation anglo-saxonne et américaine. La réalité est différente.
Dans son ensemble, le design n’est pas vu ici comme une science appliquée et les réflexions apportées par le chercheur Alain Findeli sur son épistémologie semblent placer la recherche anglo-saxonne en design comme une théorie dite « faible » car cantonnée à de la méthodologie [2]. Rappelons que les anglo-saxons et les francophones observent pourtant un corpus épistémologique relativement proche. Néanmoins, les théories qui y sont développées diffèrent. Alain Findeli rappelle que le design n’est pas une affaire de méthode consistant à relier logiquement la théorie et la pratique. Le design reste selon le chercheur « un travail d’interprétation, de contextualisation, de compréhension, d’évaluation. »
D’un coté la culture anglophone montre un développement traditionnel en tant que discipline. De l’autre côté dans les pays francophones, la position y est différente. On y développe des théories restant le plus souvent focalisées à se demander ce qu’est la recherche en design. Le chercheurs à l’image d’Armand Hatchuel (professeur à l’école des mines de Paris), se servent de l’épistémologie du design non pas pour élargir son champ d’application mais pour établir une analyse descriptive. Celle-ci d’ailleurs, à l’inverse d’une analyse typiquement anglo-saxonne, se voit proscrite au domaine du design et fait initialement la différence avec les domaines proches que sont l’architecture et l’ingénierie.
Des modes de représentation différents
L’hypothèse est donc la suivante : le design théorique à l’anglo-saxonne, en tant que science appliquée avec des vertus holistiques, tranche avec le design théorique francophone qui se pose comme une analyse d’ordre descriptif. L’élément le plus saillant visant à appuyer cette hypothèse est leurs modes respectifs de représentation.
Le design à l’anglo-saxonne n’est pas seulement couché sur papier par des mots puisque nous trouvons de nombreuses illustrations accompagnant les propos des chercheurs. Les idées et les concepts principaux sont compris dans des formes géométriques simples, reliées entre elles par des flèches. L’ensemble est normé et repose sur un principe systémique : tous les éléments sont présents pour représenter le design comme un système rationnel.
Certes, la forme particulière du catalogue choisie par Hugh Dubberly semble faciliter cette déduction puisqu’elle fait la part belle aux représentations visuelles et facilite la comparaison. Quand bien même, la comparaison des différents champs théoriques par Liz Sanders est accompagnée par une carte [3]. Celle-ci [fig.1] en porte tous les attributs puisqu’elle fonctionne selon des occupations et des recoupements de zones. Pourtant, la topographie est contrainte par une logique de fonctionnement puisqu’elle est normée sur l’axe horizontal (point de vue de l’expert contre celui des profanes) et l’axe vertical (opposition classique entre pratique et théorie).
Ainsi, que ce soit l’analyse particulière d’une théorie ou bien une représentation des rapports entre un ensemble de théories, donc une vision plus large, l’aspect systémique est toujours présent.
À l’inverse, lorsque Armand Hatchuel présente son analytique de la conception, il le fait par la seule force des mots. Aucune représentation accompagne le travail de rédaction alors qu’à la lecture, de nombreux éléments installent cette analyse selon des codes de représentations topologiques.
La représentation du concept de « partition expansive » décrit dans les travaux d’Hatchuel [4] a pour objectif de décrire comment est créé un « objet inconnu mais reconnaissable ». Ce principe est selon l’auteur ce qui caractérise le travail du designer. La lecture du texte laisse particulièrement voir que l’analytique proposée utilise en majorité des codes topologiques. En effet, Hatchuel base son idée sur des zones entrant ou non en expansion [fig.2]. Bien qu’ayant quelques aspects dynamiques, Hatchuel parle de « mécanisme », ceux-ci ne sont pas développés outre mesure. De ce fait, l’analytique de la conception garde bien ses limites pour ne pas verser dans un processus systémique à l’anglo-saxonne.
En définitif, les théories anglo-saxonnes et francophones posent de prime abord une problématique différente.
Le design théorique anglo-saxon tend avant tout à développer de nouvelles méthodologies quand le design théorique dans son acceptation francophone s’interroge sur ce qu’est justement une théorie en design. Nous assistons à une opposition entre le « comment » et le « quoi ». L’étymologie du mot, venant des termes français « dessin » et « dessein », semble marquer une influence tenace.
Comme le rappelle le chercheur en sciences sociales Bruno Remaury [5], le design à l’anglo-saxonne a principalement gardé de son origine le terme « dessein ». La définition première du Cambridge Dictionnary est d’ailleurs « to make or draw plans for something, for example clothes or buildings ». Cela se ressent devant l’aspect méthodique et systémique des théories anglo-saxonnes où l’influence d’Herbert Simon semble encore avoir lieu.
Ainsi, une prédominance dans la représentation graphique demeure : les théories anglo-saxonnes sont davantage une affaire de dessin du dessein. Plus nuancé, le design selon l’acceptation francophone où « dessein » et « dessin » semblent encore présents, confirme bien la position du développement des théories actuelles. Dans leurs idées, Alain Findeli et Armand Hatchuel cherchent avant tout à représenter, et en conséquence à expliquer. De ce fait, les théories francophones restent plus orientées vers le dessein du dessin.
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Bibliographie :
1. Dubberly, H. How do you design? (http://www.dubberly.com/wp-content/uploads/2008/06/ddo_designprocess.pdf)
2. Findeli, A. Qu’appelle-t-on « théorie » en design? Réflexions sur l’enseignement et la recherche en design. Le design : Essais sur des théories et des pratiques 77-98(2006).
3. Sanders, L. Design Research in 2006. Design Research Quarterly 1 (http://humanfactors.typepad.com/idsa/files/design_research_quarterly_1.1%20.pdf), 1-9(2006).
4. Hatchuel, A. « Quelles analytiques de la conception? Parure et pointe en design » in Le design : Essais sur des théories et des pratiques, pp 147-160(2006).
5. Remaury, B. « Les usages culturels du mot design » in Le design : Essais sur des théories et des pratiques, pp. 99-109(2006).
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Diplômé en 2007 en design industriel à l’École de Design de Nantes, Clément Gault a découvert durant son projet de fin d’étude que le design et la recherche était un enjeu important pour l’avenir de cette discipline. Après quelques mois à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne où il a travaillé avec des chercheurs, il mène actuellement une thèse sur le design. Hébergée à l’École de Mines de Nantes et financée par Orange Labs, l’objectif de son travail de recherche est d’étudier la coopération entre chercheurs et designers. Il tient également un blog rassemblant idées et analyses sur le design contemporain.
le 11 juin 2009 à 17 h 22 min
Je ne comprends pas votre segmentation design anglosaxon et non anglosaxon ou anglophone et francophone. Les commentaires de Paola Antonelli , senior design curator du Moma au Ted me paraissent plus clair sur les multiples visions du design mais aussi de la deco et de l’archi dans differents pays.
le 13 juin 2009 à 7 h 04 min
Dans mon post précédent, j’ai eu le même travers que Clément: je cite des références aux Etats Unis. Pourquoi? Cela valide mon « humble » commentaire qui sans cela serait pris par un doctorant en design comme celui d’un amateur. Or les USA, le pays le plus puissant du monde, fonctionne comme une machine à développer et à diffuser des d’études, des recherches mais aussi comme une machine à s’approprier tout. Pour résumer, c’est USA, consulting maître du monde actuel et futur.
Tout ce système complexe de la validation et de l’ appropriation fausse toutes les recherches en design et dans beaucoup d’autres domaines.
le 16 juin 2009 à 8 h 52 min
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le 16 juin 2009 à 9 h 01 min
Après un « designer’s days » parisien’ « secrets de design », voici un message à l’attention des professionnels doctorants ou non, des futurs professionnels ou professionnels sans futur et des « amateurs professionnels »du design( les plus nombreux). Implication culturelle?
Du designo de la renaissance italienne en passant par le design milanais et le design marketé des mutinationales ,vers quel futur du design allons nous ? design+ mode? , design+ sciences? design + art? Voyons une vision du design à travers un événement parisien.
Le secret des “grands du design”( les italiens, les milanais pour être précis) , ceux du “boulevard des italiens”, l’ex boulevard saint germain est dans le texte de présentation de la conférence débat qui avait lieu à “Pompidou sur Seine” dans la futur cité de la mode…. et du design?( j’en doute)construite par des suisses.Le secret des “grands du design” c’est de devenir des “grands de la mode et du design” au nez et à la barbe de la cité de la mode, Paris.( il n’ y avait aucun italien sur l’estrade de cette conf)
L’autre “grand secret du design” du designer’s days, c’est que l’Ecal de Lausanne et RCA de Londres, sont venues sur le “territoire” parisien des écoles de design françaises et ont remporté comme dit l’ECAL sur son site, “le grand chelem” (4 à 0 + 1 pour RCA )pendant qu’Eindhoven occupait le terrain créatif de l’art design à la foire de Bâle, la plus grande foire d’art du monde.
La France produit 10000 designers par an mais n’a pas le leadership créatif en Europe … L’axe Paris-Milan serait-il en crise?
Le “secret de design” c’est qu’en plaçant le designer’s days pendant art basel(bâle) pour éviter une manifestation off plus grande que le in, Paris se prive d’un parcours art design et perd aussi sur ce terrain du design de galeries. Pourtant les galeries françaises ont une réputation mondiale.
Voila le texte de l’IFM? du VIA? du designer’s days?
“Les frontières entre la mode, le design, la décoration et le mobilier ont tendance à devenir plus floues. Les marques de mode, aujourd’hui, proposent moins une offre vestimentaire qu’un style de vie susceptible de s’étendre à la décoration et au mobilier. Quant au monde du design, on le voit s’inspirer de la mode pour renforcer la dimension émotionnelle de ses produits et en renouveler la capacité de séduction de façon permanente.
Certes, le design et la mode s’inspirent l’un de l’autre pour accroître la valeur marchande des produits. Trait qui repose en partie sur une capacité à survaloriser la fonction esthétique par rapport à la dimension technique des choses. Mais là s’arrête sans doute le rapprochement entre mode et design, qui n’ont fondamentalement pas le même rapport à leur objet. Le design cherche à améliorer la réponse industrielle à un besoin, avant de faire de l’objet le support de signes symboliques et esthétiques. La mode ne pose, elle, qu’en filigrane la question de l’usage. La mode ne s’intéresse pas tant aux besoins qu’aux désirs.
Quelles relations la mode et le design entretiennent-ils avec leur propre objet (conception/création, fonction/forme, valeur utilitaire et esthétique…),
Quelles relations mode et design entretiennent-ils entre eux ?
Les deux territoires sont-ils amenés à œuvrer ensemble, se rencontrer ponctuellement ou fondamentalement ne pas se comprendre
le 27 avril 2011 à 18 h 02 min
[...] le rural design enseigné dans quelques universités américaines). Le chercheur Clément Gault remarque très justement que cette subdivision du design en disciplines annexes relève d’une approche typiquement [...]