• Sudeley castle

    Par Elodie Palasse-Leroux.

    D’un blanc crayeux, la silhouette du crâne monumental de l’Atelier Van Lieshout (Wellness skull, 2007), haut perché sur un cou démesurément étiré, se détache sur le vert grasseyant du gazon du parc de Sudeley Castle. La digne silhouette crénelée de celui-ci se dresse en arrière-plan. Non, il ne s’agit en rien du décor d’une des ces interprétations estivales données en plein air d’Hamlet: le château de Sudeley, dans le Gloucestershire, accueille un ensemble de quelque vingt-cinq pièces de design emblématiques (uniques ou éditées en un nombre très restreint d’exemplaires), destinées à être vendues aux enchères.

    Après Philllips, de Pury & Company, c’est au tour de l’honorable maison Sotheby’s (côté prononciation, les initiés ignoreront le « h » pour marquer élégamment le « t », en signe distinctif) de parsemer dans les jardins, jusqu’au 1er août, les oeuvres au catalogue de cette exposition-vente. L’événement est organisé conjointement avec l’incontournable Carpenters Workshop Gallery de Londres, qui représente les designers exposés.

    On se réjouit d’embrasser du regard une scène aussi hétéroclite: le jaune Wedgwood du château Tudor et les fastueux topiaires aux proportions gargantuesques se font écrin aux créations déjantées de Marcel Wanders, Studio Job, Vincent Dubourg, Wendell Castle ou encore Pablo Reinoso.

    Une scène dans la plus pure tradition littéraire britannique, quelque part entre Shakespeare et Lewis Carroll: peut-être le fidèle Horatio étuve-t-il dans le sauna de l’atelier Van Lieshout, à l’intérieur du crâne? Le Chapelier fou ne serait-il pas mêlé à la création de la facétieuse Bon bon chair de Marcel Wanders (éditée à vingt exemplaires ), dont la maille de métal doré imite la dentelle crochet à la perfection?

    Jurgen Bey n’essaie même pas de s’en cacher: c’est uniquement pour convier la merveilleuse Alice à prendre le thé qu’il a imaginé TeaSceneryDeLuxe (studio Makkink & Bey, 2010, huit exemplaires plus quatre épreuves d’artiste), version spécialement scénarisée pour l’occasion de son célèbre Tree Trunk Bench (1999, Droog design). Un peu plus loin, les extrémités d’un banc Spaghetti de Pablo Reinoso (2008) s’effilent en volutes emmêlées, comme en écho à la végétation qui grimpe en s’enroulant sur les vieilles pierres des dépendances.

    Les sarments noircis de la chaise Buisson de Vincent Dubourg (2007, bois perdu sur fonte d’aluminium) s’approprient si bien l’espace qu’on les soupçonne d’avoir séjourné quelques siècles à Sudeley. Au détour d’un mur aux pierres érodées apparait soudain aux visiteurs éberlués l’assise Lathe X de Sebastian Brajkovic (2010, huit exemplaires et quatre épreuves d’artiste), dédoublée et déformée en une vertigineuse illusion d’optique.

    Dans tout bon conte de fées, la douceur angélique se doit d’être contrebalancée par un élément de noirceur angoissante. Il en va de même à Sudeley. La quiétude de l’endroit est trompeuse: les murs de la petite chapelle séparent les œuvres de design contemporain de la tombe de la souveraine Katherine Parr, dernière épouse (et survivante) du roi Henry VIII, dont la légendaire cruauté lui valut d’être figé dans l’Histoire sous les traits du terrifiant Barbe-bleue.

    L’âme de la vaillante dame se promènerait encore dans cet idyllique coin des Cotswolds; on cherche sa présence autour de la Pouring Jug de Studio Job (Job Smeets and Nynke Tynagel, créée en 2008, pièce unique réalisée en 2010), qui déverse son impeccable flot de diamants noirs tandis qu’une main invisible la maintient dans les airs.

    There is an end to every story… La dimension fantastique de la balade en ferait presque oublier que l’exposition est l’avant-propos de la vente: avec des « étiquettes » allant de 10 000 à 280 000 livres sterling, nombreux sont ceux qui se contenteront de conserver un souvenir émerveillé de la promenade.

    (Source & crédits Sotheby’s, Carpenters Workshop Gallery et Roland Dafis).

    Cet article est simultanément paru sur Sleekdesign, le blog d’Elodie Palasse-Leroux.


    8 commentaires

    1. maupado dit:

      vanités, vanités….

    2. Prof Z dit:

      vanités : un pluriel qui n’exclut pas le singulier quand les étiquettes valsent entre 10 000 à 280 000 livres sterling…. Ceci dit on atteint pas ici les sommets des enchères du steel et des cîmes suisses des ventes à Bâle…

    3. maupado dit:

      Montrons notre science du copié-collé (et le parfait désintérêt pour les « enchères »):
      Ingvar Bergström divise les vanités en trois groupes :
      1. Premier groupe : « il évoque la vanité des biens terrestres »
      * livres, instruments scientifiques, art : vanité du savoir
      * argent, bijoux, pièces de collection, armes, couronnes et sceptres : vanité des richesses et du pouvoir
      * pipes, vin, instrument de musique et jeux : vanité des plaisirs
      2. Deuxième groupe : « il évoque le caractère transitoire de la vie humaine »
      * squelettes, mesure du temps, montres et sabliers, bougies et lampes à huile, fleurs
      3. Troisième groupe : « il contient les éléments qui sont les symboles de la résurrection et de la vie éternelle »
      * épis de blé, couronnes de lauriers

      vanité contemporaine:
      http://i250.photobucket.com/albums/gg246/rickyraynsjimenz/DamienHirstForTheLoveOfGod.jpg

    4. Prof Z dit:

      Une table-ronde s’est tenue lundi 14 juin à la CCIP, dans le cadre des Designer’s Days, autour de l’avenir du design : « dans dix ans, le design entre désirs et besoins »:

      Une chaise sur laquelle on ne peut pas s’asseoir est une vanité ….
      Chantal Hamaide , INTRAMUROS /Michel Ladet Vice-président, de Sociovision

      Un blogueur élargit le propos et écrit un article suite à cette table ronde: « le design n’est il qu’une vanité? »
      http://www.usineadesign.com/blog/designers-day-s-le-design-n-est-il-qu-une-vanite/106

    5. Prof Z dit:

      Commandements d’Elizabeth Leriche pour le design
      1. Les ressources renouvelables tu privilégieras, notre planète tu honoreras;
      2. Les matériaux ou les processus de fabrication polluants tu maudiras;
      3. Dans le respect de leur nature et pour leur intérêt les éléments tu assembleras;
      4. Le recyclage des matériaux tu envisageras;
      5. Du respect des règles sociales dans les usines tu t’assureras ;
      6. Tu ne convoiteras point les créations de ton prochain; dans ton âme ton œuvre source prendra;
      7. L’éveil des sens et de l’intellect tu susciteras;
      8. Aux besoins de ton prochain, de son serviteur, de sa servante, de son bœuf et de son âne tu répondras;
      9. Grâce à l’artisanat, aux demandes particulières tu t’adapteras ;
      10. Vanité et futilité tu ignoreras.

    6. waldezign dit:

      Design?

    7. Prof Z dit:

      @waldezign
      design, art design ou art = no discipline selon Ron Arad… Appliquent elles les même règles du jeu , les même regles du je ? Cela va bien au delà du sujet du bac sur les règles de l’art…

    8. art dit:

      paris-art. tente une réponse
      http://www.paris-art.com/art-culture-France/l-art-peut-il-se-passer-de-regles/rouille-andre/321.html

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