La beauté est dans la moyenne
Par Nicolas Minvielle.
On voit régulièrement dans les magazines des résultats d’études portant sur la beauté et son appréciation. Ces études concluent toutes que les visages préférés sont ceux qui sont dits “prototypiques”. Ce dernier terme, fort barbare, évalue le degré selon lequel un objet est représentatif de sa catégorie, un objet prototypique possédant alors les attributs moyens de sa catégorie. Le phénomène qui nous amène à préférer des visages prototypiques est dénommé “beauty in averageness”.
Deux auteurs américains ont essayé de dépasser les analyses de visages pour se poser la question de l’impact de la prototypicalité des objets sur l’évaluation esthétique qui en est faite.
Pour ce faire, ils ont testés deux hypothèses:
1. Plus un produit s’éloigne de sa catégorie (et devient moins prototypique), moins les réponses esthétiques seront favorables.
2. Plus un produit perd de son “unité”, moins les réponses esthétiques sont favorables.
Pour l’hypothèse numéro 2, la notion “d’unité” représente tous les aspects visuels d’un produit qui, une fois assemblés, font sens. Les assemblages pouvant être symboliques, causals ou autres.
En conclusion donc, les auteurs ont testé d’un côté l’impact de la facilité à catégoriser un produit, et de l’autre l’impact de la facilité à évaluer la cohérence des relations spatiales existant entre les parties d’un objet.
Pour l’analyse, des personnes ont du évaluer des produits qui, au fur et à mesure des tests, avaient une forme qui évoluait (distorsion par rapport à la catégorie), ou étaient assemblés de manière non évidente (distorsion de l’unité).
Les résultats sont robustes et soulignent que:
1. Plus un produit est prototypique et dispose d’une forte unité, plus il est apprécié en termes de réponses esthétiques.
2. Les notions d’unité jouent un rôle additif par rapport aux notions de catégories (prototypicalité). Une des conséquences de cet aspect de l’évaluation des produits est qu’il est important pour un acheteur de pouvoir mener des comparaisons afin de faire une évaluation esthétique d’un produit. Le cas des linéaires de la grande distribution est un bon exemple d’un cadre permettant de définir si tel ou tel produit a une bonne “unité” et s’il est donc plus ou moins plaisant.
Ce type de recherches permet d’expliquer le succès de certains produits qui sont parfaitement iconiques d’une catégorie. On peut par exemple penser à la Miss Sissi ou à la Miss K, excellents exemples de design prototypiques et assumés comme tels:
Cette recherche étant présentée, il est nécessaire de souligner qu’une partie de la recherche a aussi trouvé un effet dit “d’incongruité” ou de “nouveauté”. Il semble en effet que pour certaines typologies de produits, les notions de familiarité n’ont plus un impact positif. C’est par exemple le cas pour certains produits très haut de gamme, où l’exclusivité est parfois associée à des formes très atypiques. Ou encore, lorsque la recherche de variété a pour conséquence la recherche de nouveauté.
Une autre question importante réside dans la compréhension du phénomène: pourquoi existe t-il une telle tendance à préférer des produits prototypiques?
Les réponses sont nombreuses:
1. Ils familiers et donc plus appréciés.
2. Ils sont préférés car leurs attributs ont plus de valeur. L’idée est ici que certains produits deviennent leaders sur leurs marchés, et donc iconiques, définissant ainsi les préférences des consommateurs sur ces secteurs (on pourrait ici souligner que c’est le travail de tout brand manager…).
3. Ils ont une capacité à représenter la totalité de la catégorie, et ont donc une valeur per se en termes d’informations (tiens, j’ai bien affaire à une lampe…)
Tout ceci ne veut pas dire qu’il faut dessiner des produits prototypiques, mais la recherche souligne malgré tout que les notions de catégorisation et d’unité ont un rôle fondamental dans l’évaluation esthétique des produits.
Cet article est également paru sur le blog de Nicolas Minvielle, intitulé La Stratégie du design (design-blog.info).
le 1 décembre 2010 à 10 h 03 min
Mais c’est très interessant. Donc il y aurait des trucs que les designers pourraient appeler univers? On pourrait même inventer un mot comme tendance? Aller soyons fou et inventons un nouveau concept: le marketing qualitatif.
Finalement ce qu’il faudrait c’est que les designers fassent des recherches avant de dessiner quoi.
Le designer ne serait donc pas un artiste? Merci de le démontrer, cela sera utile à certains.
le 1 décembre 2010 à 12 h 27 min
Intéressant: on dirait un article prototypique… Où il serait démontré (en deux lignes depuis l’hypothèse jusqu’à la conclusion) que tout ce qui est connu est plus rassurant que ce qui est inconnu.
Ce qui est bizarre, c’est que souvent (mais pas dans cet article), les gens qui tiennent ce discours réclament en même temps de la nouveauté. On en revient donc à la citation de Picasso: « Pour apprendre quelque chose aux gens, il faut mélanger ce qu’ils connaissent avec ce qu’ils ignorent. » Notons tout de même que Picasso part d’un principe d’une envie d’enseigner (l’artiste qui veut donner/imposer aux autres) et que les markéteux partent plutôt d’une envie d’apprendre plus (l’homme de bon sens qui veut séduire/s’enrichir).
Rq: la dernière parenthèse est là pour faire plaisir à Oilivier.
le 1 décembre 2010 à 13 h 04 min
@ Jesse: merci pour cette belle citation de Picasso, qui entre particulièrement en résonance avec le contenu de l’article
le 1 décembre 2010 à 16 h 58 min
Voilà pourquoi je vénère Apple: une boîte ou le Designer est le leader et où le marketeux (enfin…classique) n’a pas sa place.
Quelle aurait été l’aide de ces « fondamentaux » pour concevoir l’iMac, puis l’iBook, puis l’iPod (puis l’iPhone, puis l’iPad), produits qui sont tous devenus sinon des leaders, du moins des icônes?
Ils serait aussi amusant de mettre en parallèle les bénéfices des entreprises qui appliquent ces principes « prototypistes » par rapport à celles qui préfèrent bousculer les habitudes. Vendre plus (de produit) ne signifie pas vendre mieux (de marge).
Le Designer n’est certes pas un artiste, il n’a pas pour autant besoin de devenir un abruti (au sens littéral).
Article très intéressant, cependant.
Notamment, avec du recul, du point de vue de la fascination qu’ont les « experts » en marketing à étudier « scientifiquement » les comportements des êtres humains. D’autant plus fascinant qu’ils se plantent souvent, mais reviennent à la charge à la première occasion, assénant sans aucun gène leurs conclusions « robustes » à ceux qui veulent bien les entendre.
Ca me rappelle l’anecdote de la Twingo 1, markétée pour les jeunes urbains, mais qui se sont vendues essentiellement aux séniors de campagne…
édifiant, non?