• Quelles compétences pour le designer demain

    Par Christian Guellerin.

    Les Ecoles de design ont considérablement évolué ces dix dernières années. Elles se sont ouvertes, ont multipliés les partenariats avec les Ecoles d’ingénieurs, les écoles de commerce, les universités de sciences humaines et les milieux socio-économiques.
    Les meilleures sont devenues des centres d’innovation structurés en écosystèmes « recherche – formation – entreprises », où le design est devenu discipline de management de projets complexes qui place l’usage, le sens, les valeurs et le progrès au centre de toutes problématiques.

    Le design, et c’est ce que révèle le rapport « Design for Growth and Prosperity» est définitivement une discipline stratégique pour la société. Elle permet une réflexion sur la façon dont nous allons vivre demain. Il s’agit de redonner du sens au futur, réinventer le concept de progrès au moment où une crise systémique, crise de la démesure, fait douter de demain, crise de la Morale, défiance à l’égard de la science et de la technologie, crise du système capitaliste où 97% des échanges financiers internationaux ne reposent pas sur une économie réelle…Enfin, la fin de l’ère pétrole après celle du charbon, la disparition des énergies fossiles couplées aux problématiques du réchauffement climatique obligent à réinventer tous les modèles économiques et sociaux. L’ère de la mesure et de l’économie pourrait se substituer à celle de l’hybris.

    Relativement aux entreprises, le design est devenu discipline de management et de stratégie. Management, parce qu’il fédère les personnels et leurs compétences autour de « problématiques complexes », stratégique parce qu’il s’agit d’inscrire la création et l’innovation comme moyens de se projeter dans l’avenir, d’assurer la pérennité de la structure et sa rentabilité. Pour beaucoup d’entreprises, l’avenir sera fait d’innovation, d’adaptation, de flexibilité, …et même de capacité à muter, voire à changer de métier. La flexibilité de Apple fait l’admiration passant de l’informatique à la vente de musique, de la téléphonie à la vente de services sur IPhone jusqu’à nous proposer des outils – IPad – dont les utilisateurs définissent la fonction qu’ils s’entendent se proposer à eux-mêmes.

    Dans ce contexte les écoles et universités de design vont occuper une place prééminente entre les universités de technologie, de business et de sciences humaines, les deux premières devant se réinventer au moment où la part de l’industrie dans l’établissement du PIB des économies occidentales ne cesse de baisser, et où le marketing de masse et l’économie de la consommation mute vers une économie de la contribution et de la mesure.

    Cette place sera d’autant plus stratégique qu’elle sera porteuse de valeurs culturelles fortes. Les écoles de design vont devenir les vitrines de la création des pays et territoires où elles sont implantées. Si la science et la gestion sont universelles, la création, elle, ne l’est pas. Elle est véhicule de culture, d’identité, de distinction. A l’heure où la globalisation tend à la standardisation de toutes choses, il s’agit de défendre sa propre identité. Appliqué à l’Humanité ou plus modestement à la marque, l’affaire est la même.

    La question est posée aux établissements de formation: comment faire pour les designers formés techniquement à la création deviennent les « managers de projet » et/ou les « stratèges » formés à la hauteur des enjeux auxquels les entreprises, les pays, les territoires, la société en général sont confrontés.

    L’évolution des cursus est en marche. S’il était difficile il y a dix ans encore, de travailler en lien avec les entreprises, cette relation est dorénavant totalement décomplexée dans la plupart des établissements. Ils sont le laboratoire de prospective des usages. Les entreprises confient aux étudiants des cahiers des charges témoignant de leurs problématiques et nourrissent les cursus pédagogiques.

    L’objectif des formations a lui-même évolué. S’il s’agissait naguère de former des créatifs, il convient dorénavant de diplômer des professionnels de la création. La qualité des projets de fin d’études ne suffit plus. On juge la qualité des écoles au taux d’emploi à l’issue de la formation. Il conviendrait même de les juger sur la carrière des designers issus des formations, ce qui est loin des préoccupations académiques aujourd’hui mais qui deviendra essentiel dans les prochaines années.

    Les étudiants ont appris à travailler avec les entreprises, celles qui les embaucheront demain. La professionnalisation des cursus est probablement l’évolution récente la plus patente. Cette professionnalisation s’est accompagnée d’une obligation, celle de travailler avec d’autres. Car si pendant longtemps on a privilégié la seule culture du talent individuel, la collaboration professionnelle a conduit l’étudiant-designer à devoir partager. Et ce n’est plus seulement son talent à créer qu’il s’agit d’honorer, mais sa capacité à travailler avec les autres pour enrichir ses idées. Alors le design devient discipline de management. Le designer a la responsabilité de mettre autour de la table de travail les ingénieurs, les marketers, les financiers, les philosophes, les sociologues, des artistes et de les faire œuvrer ensemble à définir de nouveaux usages, de nouveaux produits, de nouveaux services. Ce travail en commun nécessite des compétences en communication et en animation. La création est par essence une transgression et par nature difficile à accepter d’emblée par les autres. Il convient de l’expliquer, de démontrer, de convaincre. Entretenir le designer dans l’illusion que la création se suffit à elle-même pour justifier de sa pertinence est une faute. Le produit créé doit communiquer par lui-même certes, mais sans la capacité de conviction de son auteur, beaucoup de projets restent dans les cartons faute d’explications et d’avoir su séduire. Le design est un métier de communication.

    Les étudiants d’aujourd’hui ont le même talent que ceux d’hier, ils ont des compétences en plus, celles d’animer des groupes de travail et de communiquer pour convaincre.

    Mais les évolutions les plus essentielles sont à venir. La professionnalisation, la reconnaissance du design comme discipline de management rendent les projets des étudiants de plus en plus pertinents. La conscience des étudiants est de plus en plus pragmatique et concrète. Il ne s’agit plus de présenter des maquettes lors des jurys de diplôme mais bien des prototypes. Justifier de sa création ne suffit plus. La capacité à faire en sorte que son projet soit expérimenté, livré au public et/ou lancé sur un marché est déterminante. Ainsi les établissements de design deviennent des centres d’innovation fédérant les compétences scientifiques, les chercheurs, les entreprises et les institutions qui travaillent à leur développement et au progrès. Ils deviennent les médiateurs d’une relation « recherche – formation – entreprise » résolument tournés vers l’innovation avec pour objectif la définition de nouveaux usages, là où les scientifiques visent la performance technologique et les marketers et/ou financiers la rentabilité.

    La prochaine étape sera évidemment celle de l’entreprenariat. Plus les projets développés dans les écoles de design seront pertinents, plus les étudiants designers seront enclins à les développer plutôt que de le faire faire par d’autres, d’autant qu’il est probable que les systèmes de protection de la propriété intellectuelle deviennent des outils extrêmement difficiles à maitriser à l’échelle de la planète. La plupart des étudiants en Chine ne déposent plus leurs projets, ils savent que c’est le plus sûr moyen de se les faire voler. Les designers vont devenir entrepreneurs de leur propre création. Avoir des idées n’est plus suffisant, il s’agit de faire en sorte qu’elles s’appliquent. Il s’agira d’une nouvelle ère d’entreprenariat, plus responsable, menée par des designers non plus guidé par la seule idée du business mais par la responsabilité qu’ils ont à défendre la pertinence de leurs idées et celle d’inventer un futur différent que celui, bien sombre, que nous promettent les augures.


    17 commentaires

    1. Guillaume Bouvet dit:

      juste un avis subjectif : WOUAHHHHHHH j’adhere totalement a cet article ! merci la revue ! ;)

    2. waldezign dit:

      Heureusement, j’avais mon cache-nez!
      Sinon, du nouveau?

      Ce genre d’article, ça va pour l’Usine Nouvelle (ou autres) et sa vulgarisation extrême, mais pour les spécialistes, c’est du réchauffé!

      Bref, que les écoles reprennent à la base et forment déjà des créatifs talentueux, ça sera déjà pas mal.

    3. Paul dit:

      Waldezign, il dit rien mais il a l’air de s’y connaître.
      « Bref, que les écoles reprennent à la base et forment déjà des créatifs talentueux, ça sera déjà pas mal. » Voilà un avis de spécialiste. Pas bon pour l’Usine nouvelle…

    4. adrien dit:

      Merci beaucoup pour cette vision juste et pleine d’ambitions!

    5. Acide_critique dit:

      Dans l’ensemble, c’est un très bon article qui formalise ce qui se dit déjà beaucoup et depuis quelques temps dans les rangs du design en France.
      Après, le vrai souci, c’est que, passé le discours, on se rend compte que les écoles, particulièrement les écoles privées diplôment des profils très variés. Difficile pour le métier de prendre une direction et de s’imposer avec une disparité qui va du du crétin égocentré au génie.

      Après pour nuancer, je dirais que oui, le management est une composante du design, mais elle ne doit pas faire des designers, des managers. Dire le contraire serait faux.
      Et enfin, à @waldesign, si vous ne voyez pas les enjeux qui sont évoqués ici, je vous suggère de prendre votre retraite : vous êtes hors course.

      Le design ne tient pas à la question du talent. Du moins… pas plus qu’une autre discipline.

    6. waldezign dit:

      @Paul
      Ces bla bla de directeur d’école de design, on les subissaient déjà il y a 20 ans (si, si, un peu plus au nord), bien avant que ce monsieur ne soit dans la place. 20 ans plus tard, le discours est le même (c’est encore plus édifiant si on consulte le blog), mais dans le fond, rien n’a changé.

      Heureusement, ceux qui font le design en France ne sont pas ceux qui en parle le plus…

      Cela dit, d’autre articles de la RdD sont excellents, tous les intervenants ne peuvent pas avoir la même virtuosité.

      Les écoles ont besoin depuis toujours de vendre aux parents inquiets de l’avenir de leur chérubins d’autre discipline que le design, avec des mots rassurants comme engineering, management, marketing, commerce, entrepreneuriat, etc…
      Ca permet aussi de faire passer la faiblesse des cours réellement consacrés à l’acquisition des bases du métier (dans certaines écoles, le dessin est même un tabou). Il faut dire aussi à la décharge des écoles que les intervenants de qualité sont rares et coûteux.

      Bref, à l’ouest, rien de nouveau!
      (je tiens à préciser que je n’ai absolument rien contre monsieur Guellerin que je ne connais pas personnellement, ma critique porte sur l’article)

    7. paul dit:

      Merci Wadesign.
      Néanmoins, ce serait bien mieux si vous disiez quelque chose d’intéressant, de constructif, de différent, de novateur, de créatif, un peu en rupture, plutôt que de jouer le designer aigri, d’un autre âge, revenu de tout. En clair, si vous étiez designer.
      J’espère que dans les écoles de design à l’ouest ou ailleurs, la nouvelle génération a un autre enthousiasme que celui de « wadesign », et autre chose à dire que « je vous l’avais bien dit… ».
      Iznogoud on t’a reconnu.

    8. paul dit:

      « Dans ce contexte les écoles et universités de design vont occuper une place prééminente entre les universités de technologie, de business et de sciences humaines, les deux premières devant se réinventer au moment où la part de l’industrie dans l’établissement du PIB des économies occidentales ne cesse de baisser, et où le marketing de masse et l’économie de la consommation mute vers une économie de la contribution et de la mesure.

      Waldesign, il disait deja cela, il y a 20ans.

    9. c.guellerin dit:

      @Acide_critique
      Merci de votre commentaire.
      Le terme de manager-management m’a beaucoup été reproché et notamment, il y a encore 5 ou 6 ans, lors de conférences en France et à l’étranger. Le terme est mieux accepté dorénavant, au point que se constitue çà et là des « clubs » de « designers-managers », y compris en France où il y a peu, les écoles étaient dénoncées si elles travaillaient en lien avec les milieux économiques.

      En fait, quand je parle de management, je ne parle pas de business. Je fais référence au management de projet, à la notion de partage, de transversalité, et d’animation de groupes de projet…Le rôle de manager est dans cette capacité d’animation.
      Je continue de penser que pour le designer, le business n’est qu’un moyen pas une fin, un moyen notamment d’éprouver l’idée, le concept et sa viabilité. Le profit économique généré est un des éléments de la richesse engendré par le projet. Mais il n’est pas exclusif.

      Et quand je dis que le designer doit être un manager, je crois qu’il a et aura la responsabilité de fédérer les services de RetD, de marketing, de finance…et de les faire travailler ensemble à l’innovation et à une projection stratégique, dans des structures moins hiérarchisées et plus transversales. Il s’agit là d’une opportunité pour les designers qui vont pouvoir occuper plus rapidement des positions stratégiques à la mesure du rôle du design, de la création et de l’innovation pour faire évoluer la société en général.

      @Waldesign
      Désolé, il y a 2O ans, je n’étais pas né au design. Je ne peux donc pas savoir ce qu’il se disait.:) Merci toutefois de vos remarques. Pour le dessin, vous avez raison : « la main est esprit ».

    10. waldezign dit:

      Paulle: eh oui.

    11. waldezign dit:

      @ acide-machin: dsl, moi je ne suis qu’un designer. Ca ne m’empêche pas de rire quand je te lis… tu as un blog, ça doit être marrant!

    12. Clément dit:

      @walzdesign

      « Ces bla bla de directeur d’école de design, on les subissaient déjà il y a 20 ans (si, si, un peu plus au nord), bien avant que ce monsieur ne soit dans la place. 20 ans plus tard, le discours est le même »

      Il y a 10 ans, j’étais en première année à Nantes. Christian Guellerin nous avait fait un discours le jour de la rentrée : il constatait qu’une machine à laver fabriquée en Chine était d’aussi bonne qualité qu’une fabriquée en Europe. Le rôle du design était présenté comme un élément différenciateur, dans le pur sens marketing de l’époque.
      Je ne m’avancerais pas pour les autres directeurs, mais le discours de Christian Guellerin a bien changé en 10 ans.

      « Les écoles ont besoin depuis toujours de vendre aux parents inquiets de l’avenir de leur chérubins d’autre discipline que le design, avec des mots rassurants comme engineering, management, marketing, commerce, entrepreneuriat, etc… »

      C’est parce que le design se veut au centre de l’ingénierie, du management et du marketing que les écoles insistent aussi sur ces disciplines. D’ailleurs on observe des postions similaires dans les écoles d’ingénieur ou de commerce qui proposent des formations en lien avec le design.
      Après, les écoles n’ont pas à rougir de vouloir rassurer les parents : déjà les design est très mal perçu, ce n’est un secret pour personne ; et puis à la louche, 25 000 à 50 000€ en 5 ans représente une somme considérable, d’autant plus quand il s’agit de l’avenir de son enfant.
      De fait, votre cynisme est assez malvenu.

    13. waldezign dit:

      Tout est design, donc rien n’est design… Vaste débat…

    14. Gentil garçon dit:

      C’est assez marrant de voir poser la question du « design de demain » quand on sait que, en France, tout ce qui n’est pas consensuel et respectueux des modes du moment sera censuré et marginalisé.
      Comme si il était imposé de ne voir le futur du design que gentil et aimable. respectueux des corporations et pensées bien établies.
      Dans cette guerre économique les designers ne pourraient-ils n’être que des dessinateurs niais ancrés dans la tradition et autorisé seulement à quelque frissons d’imaginations.
      Le designers ne saurait-il autorisé que comme inférieurs aux Artistes-créateurs, au Philosophe-penseurs, aux Ingénieurs-maitres, aux Marketeur-matures…?

      C’est trop drôle!

    15. waldezign dit:

      Juste une demande de précision à Clément: « Après, les écoles n’ont pas à rougir de vouloir rassurer les parents ». Rassurer ou arnaquer? parce qu’utiliser des arguments qui sont loin de la réalité pour vendre ce métier… après, on peut aussi se tromper sincèrement, c’est vrai. (surtout quand on ne fait que théoriser sans pratiquer).

      Et enfin, je ne suis pas cynique, au contraire. De là à manquer de recul…

    16. Paul dit:

      @waldesign, c’est Iznogoud : « Je vous l’avais bien dit »…Difficile d’être et d’avoir été…Dépassé, peut-être…Pas grave…Je sais, ma mère, elle dit ça aussi : « C’était mieux avant ! »

    17. waldezign dit:

      Paul, les substances hallucinogènes ont ceci de problématique qu’elles entraînent des logorrhées incompréhensibles… Merci de réessayer à jeun. Et bonne chance avec votre maman.

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