Interview: Fabien Delwal
Nous interviewons aujourd’hui Fabien Delwal, designer intégré, qui après avoir travaillé plusieurs années dans le domaine du design automobile, s’occupe aujourd’hui plus particulièrement de conteneurisation des déchets et de mobilier urbain.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre formation et votre parcours professionnel?
Après un classique Bac C (maths/physique), j’ai fait l’Institut Supérieur de Design de Valenciennes pendant 4 ans, en filière Design des Transports, puis une année exceptionnelle et fantastique auprès de Franco Sbarro pour étudier particulièrement la mécanique et le « design » (entendre: la conception) automobile, avec notamment un projet Alfa Romeo très concret, parrainé et supervisé par Walter De Silva (directeur du design Alfa à l’époque).
Ensuite, après une bonne dizaine d’années passées chez Plastic Omnium Auto Exterior (Recherche et Innovation) à imaginer les autos de demain sous l’angle de l’équipementier automobile, j’ai eu l’opportunité et la chance de changer de division et de passer un palier pour participer à la création des futurs produits de Plastic Omnium Environnement, leader européen dans la conteneurisation des déchets sous tous ses aspects, mais aussi acteur important dans la fabrication et la commercialisation de mobiliers urbains et d’aires de jeu (via sa filiale Ludoparc).
Sur quel(s) sujet(s) travaillez-vous en ce moment?
Les projets d’apport volontaires ont pris le dessus sur tous les autres. Les clients sont très friands de personnalisation et chacun souhaite offrir à ses administrés un mobilier urbain spécifique à la culture locale, tant esthétiquement que fonctionnellement.
Combien de personnes compte votre équipe?
Le POenvdesignstudio compte une personne à temps complet, assisté ponctuellement de stagiaires. L’effectif est faible au regard de la demande, mais une collaboration étroite avec la R&D compense partiellement ce manque relatif, la concurrence n’ayant pas intégré le métier design de façon systématique, même si quelques acteurs du marché sont assez affûtés dans ce domaine.
Quelle est votre méthode de travail habituelle?
Nous travaillons de façon très instinctive, les cahiers des charges se précisant souvent au fur et à mesure. En pratique, quelques croquis laissent rapidement la place à un travail en 3D, ce qui permet aux équipes de direction de faire des choix en première approche, et de libérer des budgets. La 3D nous permet aussi de ne pas nous égarer dans un domaine où les normes, notamment dimensionnelles, sont omniprésentes. Nous avons également la chance de posséder une imprimante 3D pour les validations avancées et les premiers tests auprès de nos clients. Notre chaîne de process design est assez pointue, même si une équipe plus fournie ne serait pas de trop par rapport à une demande très soutenue.
Fréquentez-vous les blogs et sites Internet consacrés au design, et si oui lesquels?
Trop peu, mais j’ai un faible pour certains articles de la Revue du Design. En revanche, je trouve que l’édition, qu’elle soit virtuelle ou réelle est en générale assez déconnectée des réalités du métier. Concernant les métiers du design produit, il n’y a aucun magazine de qualité similaire à Car Styling, la bible des designers transport (ou Auto&Design, dans une moindre mesure, mais plus accessible, aussi).
Y a-t-il un ou plusieurs designers, ou créateurs, qui vous inspirent au quotidien?
Je ne suis pas un original, mes références sont connues et reconnues: Newson, Crasset, Starck, Rashid, Ive (bien-sûr). En terme de produits, j’aime beaucoup les grands classiques qu’il est inutile de citer ici. Ce qui est intéressant, c’est la capacité d’un produit à traverser le temps. Découvrir un produit assez ancien et croire qu’il s’agit d’une nouveauté, c’est beau.
A part Ive, j’aimerais avoir des références plus « design intégré », mais peu sont connus ou mis en avant par les entreprises.
S’il y avait une chose à changer dans le design?
En France, l’enseignement du design n’est pas à la hauteur. Très élitiste par les prix pratiqués par les écoles, mais avec un contenu plutôt low cost. Les profils qui sortent des écoles sont assez semblables, il y a peu de mixité sociale dans les écoles de design françaises. C’est évidemment un jugement global, une moyenne, avec ses extrêmes: le bilan n’est pas si mauvais dans certaines écoles, il est bien pire dans d’autres.
Il y a beaucoup à faire dans ce domaine avec notamment une initiation à la créativité, à l’esthétique et à la création d’objets dès les classes du collège, ce qui participerait forcément à une bien meilleure image (mieux comprise) du design auprès du grand public.
Selon moi, le petit monde du design professionnel français n’est par ailleurs pas assez impliqué / ne s’implique pas assez dans la formation des futurs créateurs.
Quelle est la commande que vous aimeriez vous voir confier?
Pas une commande ou un projet en particulier, plutôt un statut. Devenir incontournable dans mon entreprise est un objectif qui nourrit mon quotidien. Le design doit être la plaque tournante de la conception des produits, mais ce n’est pas évident pour tout le monde. J’y travaille constamment.
De votre point de vue, le métier de designer est-il enviable aujourd’hui?
Ce n’est clairement pas un métier à risque, on ne peut pas se plaindre. Maintenant, ce n’est pas toujours le métier de rêve qu’on imagine au départ: il faut savoir gérer des conflits d’intérêt, montrer beaucoup de flexibilité et d’humilité (ce qui n’est pas toujours facile:) ), savoir prendre du recul sur ses travaux, beaucoup d’aptitudes pour des conditions salariales pas extraordinaires. Cela dit, ce métier reste une vocation et un job passionnant au quotidien!
Pour finir, un livre, un site Internet, un film, une découverte récente… que vous auriez envie de partager avec nous?
J’ai beaucoup aimé « Impressions d’Ailleurs », l’abécédaire de Philippe Starck. Musicalement, quelques joyaux m’ont ravi, comme les XX, C2C et Lescop.
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Quelques projets de Fabien Delwal:
Photos de vaisselle (développée à titre personnel) pour Paolodesign (2006).
Image du concept-car Inova 07 pour Plastic Omnium Auto Exterior (2007).
Logo du POenvdesignstudio (2010).
Image de conteneurs enterrés / bornes Skinny pour Versailles-Grand-Parc (2011).
Corbeille porte-sac TRESSE dessinée à l’origine pour Paris, mais non sélectionnée par ce client. Ce produit est néanmoins en passe d’être mis au catalogue. Acier peint epoxy (2012).
Petit accessoire / utilité maximale. Créé à la demande de la Propreté de Paris pour lutter contre le nombre croissant de mégots abandonnés sur les trottoirs parisien, cet éteignoir à cigarettes est injecté en PA chargé fibre de verre (2012).
ORIGAMI: projet de colonne aérienne en tôle d’acier revisitant totalement ce type de produit résistant au feu (produit en cours de commercialisation, créé en 2011).
Conteneur semi-enterré SEMIMAX-CUBE, étudié pour proposer une alternative robuste mais esthétique sur un marché où les produits sont très utilitaires dans leur approche. Garde-corps béton habillé bois, capot polyester sur structure acier (2010).
Colonnes aériennes VOLCANO (marque Temaco). Déjà un succès commercial pour ce conteneur qui a reçu un excellent accueil du public au salon Pollutec 2012, à Lyon. La sympathie a été choisie comme fil conducteur dès la création de ce style tout en rondeurs rassurantes. Enveloppe PEBD sur structure acier (2012).
le 15 mai 2013 à 15 h 40 min
J’ai aimé travailler avec Fabien en tant que tech sur les projets d’innovation auto: heureusement, il fait à la fois montre de caractère et d’écoute (et évidemment d’inspiration!).
Perso ma culture du design s’arrêtait aux « vieilles forges »: Raymond Loewy, le Bauhaus, l’art déco (c’est limite, je sais), Gabriel Voisin ou Facel,… Et quelques projets chez Renault, ou le design industriel était un temple sacré il y a 10-15 ans.
Maintenant ingé chez un autre équipementier, sur des pièces innovantes … de moteur, j’ai essayé de glisser qu’un designer nous rendrait plus compétitif (nos concurrents allemands en ont, j’en suis persuadé). « Que ne me suis-je tu! » La mécanique française, elle, ne connait pas même « les vieilles forges »!
Alors, Fabien a sans doute raison sur l’enseignement dans les écoles de design, mais je pense qu’il faudrait que tout les ptits français acquièrent une sensibilité de base du design… Et de la musique, et de la sculpture, et… Et cela aussi, cela s’apprend.
Nous sommes dans un des pays ou les Arts se sont le plus développés au cours de l’Histoire de l’Humanité, B!
le 15 mai 2013 à 23 h 05 min
Merci Deck’s
le 16 mai 2013 à 11 h 49 min
qu’est-ce qui est le plus gratifiant pour un designer ?
faire du design automobile virtuel ?
ou du design de conteneur réellement produit et utilisé ?
pour moi c’est la deuxième option sans hésitation et heureusement qu’il y a des designers comme Fabien qui travaillent sur ces produits sans quoi on aurait davantage de véritables verrues dans nos villes…
le 16 mai 2013 à 14 h 49 min
ça, ya pas photo!
mais la route est encore longue…
le 17 mai 2013 à 10 h 55 min
Comme tous les designers formés à cette école. C’est très design industriel. Très informatique. C’est du lourd. Mais c’est du bon design! Responsable. Qui sait ce que c’est qu’un cahier des charges et les contraintes.
Ce n’est pas de l’art à bobo en mal de conversation!
le 17 mai 2013 à 13 h 36 min
En fait, le design en entreprise est rarement sans concession. Sans compter que l’environnement professionnel n’est pas toujours bienveillant avec le designer (surtout quand le management est bienveillant, lui) et il faut souvent surmonter des obstacles qui n’ont pas de réelles raisons d’exister à part de freiner la créativité, brider le changement et améliorer la qualité globale. Je suis un peu sévère, mais c’est parfois un sentiment qui se dégage.
La MOTIVATION reste la plus grande qualité d’un designer, particulièrement en intégré, et particulièrement dans ce type de domaines peu glamours.
Maël pourrait en témoigner!
le 17 mai 2013 à 16 h 54 min
Je pense qu’il existe beaucoup d’incompréhension entre les métiers ou les « classes » dans nos industries / services etc. Tout simplement, un gars en costume avec un dossier sous le bras déclenche aussi des regards quand il traverse un atelier…
Mais au-delà de ces multiples racismes ordinaires, le designer intégré est souvent considéré, au mieux, comme « l’artiste de la famille » dans une entreprise, suivant ma propre observation.
OK cela peut amuser parfois, mais je comprends que cela agace franchement à la longue, car l’ »artiste », en France notamment, est souvent assimilé à la cigale de La Cigale et la Fourmi de La Fontaine (d’ailleurs un bien mauvais poème, que les enfants ne devraient pas plus apprendre que lire Tintin au Congo!). J’ai beaucoup de potes artistes: comédiens, musiciens, plasticiens… Et je suis tenté de faire ce parallèle.
Alors oui, il faut être motivé pour être designer intégré : aimer ce qu’on fait et le faire aimer (au moins découvrir)!
le 17 mai 2013 à 19 h 22 min
Constat très juste. Le seul point positif à être une minorité au sein d’une majorité (que ce soit être un designer au milieu d’ingénieurs ou un gars en costume avec un dossier sous le bras au milieu d’un atelier) c’est la nécessité de s’adapter et d’apprendre le « langage » de l’autre. Les deux stages passés chez Platic Ominum m’ont apporté des connaissances de terrain sur la production industrielle qui m’ont permis ultérieurement de faire face à des ingénieurs dans d’autres contextes, ce qui est très peu enseigné par les écoles (pléonasme) sauf chez Sbarro semble-t-il. Le regret étant que même lorsque le designer a fait l’effort de se hisser hors de son statut de gribouilleur, les regards n’évoluent que très rarement et dans ce cas il est préférable d’aller se mesurer à d’autres challenges comme l’a fait Fabien.
le 18 mai 2013 à 22 h 10 min
Il est bien le petit!
le 18 mai 2013 à 23 h 08 min
Je me retranche derrière le psaume que Saint Maelig nous livre plus haut!
D’autant que dessiner des conteneurs de recyclage qui donnent envie et qui permettent d’y mettre le bon déchet est une contribution essentielle à l’élimination de l’obstacle sociologique principal à la noble croisade de la valorisation des déchets. Tok.
Nota Saint Maelig (v. l’an 800? – 2589): martyr breton ayant (aussi) commencé sa vie comme designer virtuel avant de se convertir avec bonheur au concret.
le 19 mai 2013 à 22 h 55 min
Oui, cela c’est du design! C’est certainement plus difficile que de faire de jolis dessins pour ses potes, ses copines, internet et intramuros.
C’est aussi plus difficile que de faire du « thinking design », du conceptuel design ou écrite une thèse pour expliquer, en le découvrant, que le design c’est ceci ou cela ou éditer à compte d’auteur.
Mais il faut de tout dans un monde!
le 9 décembre 2013 à 11 h 07 min
Quand-même, on aimerais bien n’avoir qu’à faire avec des contraintes technico-industrielles, mais plus que de la réticence, le problème est d’avoir affaire à des gens vraiment malveillants pour notre discipline. C’est quand-même fous de faire plus de politique que de design… Industriels, réveillez-vous et faites le ménage dans vos basse-cours!