Le Design vu par: Anthony van den Bossche
“Le Design vu par…” est une rubrique ayant pour objectif est de recueillir la perception que des personnes côtoyant régulièrement ou connaissant bien le design, sans nécessairement être designers elles-mêmes, ont de cette discipline. C’est aujourd’hui Anthony van den Bossche, journaliste, commissaire d’exposition et fondateur de l’agence de conseil artistique et de communication Duende PR, qui répond à nos questions.
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De votre point de vue, qu’est-ce que le design et à quoi est-ce que cela sert?
Le design est toujours une exagération : exagération d’une fonction ou d’un style. C’est parce qu’il est un peu plus fonctionnel que normal, un peu plus minimal que normal, un peu plus baroque que normal, etc… que le design fait signe dans notre environnement. Par son exagération, il attire notre attention sur un point particulier, et ce même si ce point particulier est par exemple la discrétion. Prenez super normal, l’exposition de Jasper Morrison. Le design normal n’est pas normal, il est super et il est visible. C’est un normal exagéré.
Dans votre environnement quotidien, quel est l’objet, le site Internet, l’interface, le service… que vous trouvez le plus pratique?
L’aéroport de Stockholm passé en aéroport silencieux, plus d’annonce, plus de musique, un bonheur ! Et la RATP qui a changé nos vies en annonçant juste le temps d’attente pour la prochaine rame. Savoir qu’on va attendre 2 minutes ce n’est pas attendre c’est s’organiser. Si le métro pouvait s’inspirer de l’aéroport de Stockholm pour faire des rames silencieuses j’arriverais à convaincre tous les potes de prendre le métro. Mais je suis comme vous un pourri gâté de la révolution numérique, tout me paraît temporairement pratique mais très urgemment améliorable. Je suis un impatient dans un monde en mouvement. Rien ne me satisfait à part une ballade à pied dans Paris avec mon amoureuse. La beauté disponible en toute liberté.
Et celui qui vous séduit le plus d’un point de vue esthétique?
Pour rester dans le meuble, la chaise 501 d’Hans Wegner fabriqué par PP Mobler est insubmersible depuis 1949. C’est une sorte de matrice pour toute les chaises qui sortiront par la suite. Pour du design un peu plus vivant, une carpe Asagi, un carpe koi avec reflet métallique, la patience mise par les éleveurs japonais pour sélectionner et mettre au point des variétés de motifs et de reflets sur un poisson m’émeut au plus haut point. Du design génétique, comme un tatouage dans la matière vivante.
Pourriez-vous nous citer un designer dont vous appréciez le travail, ou une entreprise dont vous appréciez les produits ou services, et nous indiquer pourquoi?
Depuis 15 ans je consomme du design comme un néopathe, mon oeil s’est peu à peu habitué à l’éclat de la nouveauté. Sauf pour les Bouroullec et Mathieu Lehanneur. Je collabore avec le deuxième donc je ne serais pas très objectif. Quant aux Bouroullec, tout le monde les aime. Certes, mais ils me surprennent encore à chaque fois. La concentration et la rigueur mise dans chaque projet est impressionnante. C’est tellement facile de décliner. Eux recommencent à chaque fois avec le même doute, la même volonté d’atteindre un jour la perfection et la même humilité devant cette quête quasi impossible. Et comme j’ai passé l’âge de ne pas aimer quelque chose sous prétexte que tout le monde l’aime, j’assume ma non originalité.
Si vous étiez designer, quel est le premier projet que vous aimeriez vous voire confier?
Une ville. Soyons raisonnable pour commencer. L’idée est bien d’améliorer la vie des gens non ? J’aime les systèmes, moins les objets.
Quelle doit être, selon vous, la principale qualité d’un designer?
Voir ci dessus Bouroullec pour le dessin. Ajoutez lui les qualités de partage verbal d’un Starck, plus la vision élargie à d’autres domaines d’un Mathieu Lehanneur (sa capacité à puiser de l’inspiration dans la « vraie » vie, à analyser nos instincts) et vous aurez un designer capable enfin de faire bouger les choses dans le bon sens. C’est-à-dire convaincre pour produire du mieux. Je veux bien cuisiner pour mettre à table ces trois là et échanger autour d’un dîner.
Et pour finir, quel conseil donneriez-vous aux designers qui auraient à concevoir des produits, interfaces, services… à votre attention?
Je m’attends toujours à être déçu. L’ensemble de la production d’objets et de services est un espace gris et confus. Concevez-moi des petits arc-en-ciels. Un arc-en-ciel est un petit miracle minimal, en cassant et séparant la lumière, vous obtenez un peu de magie. Cassez, enlevez des fonctions et des signes, c’est la meilleure façon de surprendre et de faciliter la vie des utilisateurs.
le 8 janvier 2014 à 15 h 30 min
Merci pour ces paroles décomplexées et pertinentes !
J’aime bien la qualification du design comme exagération – quoi qu’on en dise, c’est bien pour sur-signifier que l’on conçoit un objet… Que ce soit le confort, la fonctionnalité, l’ironie…
le 9 janvier 2014 à 9 h 15 min
Qu’est-ce que l’exagération? Une opinion personnelle subjective. Un conservateur verra toujours de l’exagération ou un autre ne verra que des codes acceptables.
Si un produit se vend, c’est qu’il n’est pas exagéré par définition. Et n’est-ce pas la finalité d’un produit de se vendre à celui qui l’accepte?
Chacun sait, en France comme à l’étranger, à quel point les artistes français sont conventionnels et conservateurs. En dehors d’une provoc politiquement correcte.
Tout designer expérimenté sait que quand un bobo vous demande une idée originale, un arc en ciel, vous ne devez garder que le bleu, le vert, le brun et le blanc. ( humour acceptable?)
@Estelle;
« Sur-signifier » Jusqu’à quel niveau? Celui de perdre un client, un marché, une comprehension? Un designer doit « signifier » au maximun de l’acceptable. Et surtout pas sur-signifier. Et c’est très difficile. C’est pour cela que seul un minorité accepte ce cahier des charges.
L’artiste lui n’a pas cette contrainte. Il peut sur-signifier de manière inconséquente par rapport à ses fréquentations et son univers. ( Mais accepté par le Ministre de l’intérieur et le Ministre de la culture. Humour noir acceptable ?)
le 20 janvier 2014 à 16 h 43 min
Son interview est très divertissante à lire!
Reste qu’on parle ici de déco, pas de design industriel (hors la chaise 501, qui semble plus être une madeleine de Proust qu’un classique à l’épreuve du temps).
Tout cela est très « parisien », quand-même… ça déborde de futilité. Lehanneur et les Bouroullec…
Reste la référence à Jasper Morrison… qui ne s’éloigne cependant pas complètement de la déco.