L’Objet en question(s): Cruiser S1, un skatebaord de métal et ajouré par Maxime Lis
La rubrique “L’objet en question(s)” présente des portraits d’objet ou de séries d’objets, par leurs créateurs: l’histoire de leur genèse, leurs contraintes, leurs enjeux… Aujourd’hui, c’est le designer industriel Maxime Lis, gérant du studio 300 % et Méline Ripault, qui nous présentent le projet « Cruiser S1″, un étonnant skateboard en métal fabriqué à Bordeaux. Interview :
Pourriez-vous nous décrire votre projet en quelques mots?
Le mythique cruiser board des années 70 est toujours très utilisé pour se déplacer en ville. Depuis toujours, il est fabriqué en contreplaqué ou en plastique, nous avons cherché des alternatives nouvelles pour concevoir en circuit court cet objet.
Comment ce projet vous a-t-il été confié?
Lors d’une soirée pluvieuse à Bordeaux, un ami nous avait mis au défi : trouver une alternative pour son cruiser en plastique devenu trop glissant, impraticable. Un an plus tard, nous lançons le Cruiser S1.
Quels étaient, selon vous, les principales contraintes et les principaux enjeux de ce projet?
Nous voulions développer un produit 100% bordelais, avec les avantages et les inconvénients que cela comporte. Nous nous sommes renseignés sur les savoir-faire locaux (autres que le vin !). Nous avons remarqué un fort développement métallurgique, c’est pourquoi nous avons décidé de développer ce projet en métal.
Nous voulions conserver les mêmes caractéristiques (poids, souplesse…) tout en améliorant son adhérence et l’adapter à tout type de temps. C’est pourquoi nous avons décidé de ne pas travailler avec de la tôle lisse mais plutôt avec des ronds pleins d’acier, que nous avons disposé pour créer une surface ajourée. La chaussure épouse la forme, optimisant l’adhérence. Pour se rapprocher de la texture d’un grip, la board est martelées par un sablage avant la finition : cela permet d’assainir le métal tout en lui donnant une texture rugueuse.
Quel était votre concept ou votre idée de départ?
Dynamiser l’économie des entreprises bordelaises avec un projet offrant un marché aux dimensions internationales. Aussi, nous souhaitions participer à la redéfinition du déplacement en milieu urbain, cherchant à privilégier les moyens de transport responsables. Comme pour chacun de mes projets, je décortique les processus de fabrications des objets existants et propose un processus de fabrication transversal, restrictif, avec un nombre d’étapes de fabrication minimum.
L’économie et l’optimisation de la matière est un point très important : par exemple, les barres d’acier exploités pour ce projet sont consommées sans pertes. Après étude des différents types de cruisers, l’essentiel des propositions ne font pas évoluer le produit mais sont plutôt dans la nouveauté graphique ; une planche avec un motif différent apposé dessus.
Avec S1, nous modifions l’ADN du cruiser. C’est comme si nous avions gardé que son squelette, une ossature à la surface ajourée. Cela procure des sensations nouvelles, notamment en voyant le sol dérouler sous ses pieds.
Pourquoi le projet a-t-il, au final, cette forme et ce ou ces matériaux?
C’est ce que nous expliquions dans une question précédente. Cependant nous ajoutons qu’il n’y a pas vraiment eu de dessins préliminaires ; 80% du processus créatif s’est déroulé dans l’atelier du Studio 300 %, au contact des différents matériaux et sections de matériaux. Ce n’est qu’une fois les premiers échantillons techniques assimilés que Maxime corrige la forme, par le dessin ou avec une modélisation afin de produire des plans techniques précis.
Dans son fonctionnement, l’objet n’est dessiné, arrangé et corrigé qu’une fois la matérialité, le principe industriel compris et le cahier des charges défini. Le critère esthétique est donc le point de convergence entre deux variables aléatoires et une constante. La constante représente le dimensionnement des matières premières (dimension brutes, normées, que l’on se procure chez un fournisseur). Maxime optimise ces dimensions originelles pour limiter ou même parfois neutraliser la perte matière. Les deux variables aléatoires seront la demande et les moyens industriels mis en œuvre.
Qui étaient vos interlocuteurs chez votre client, et avec qui avez-vous du collaborer?
Nous pensons que le cruiser S1 doit être visible dans d’autres univers que les skateshops. Il questionne un objet vieux de 50 ans et remet en cause des acquis de productions, tout en respectant l’histoire et l’identité du produit. C’est pourquoi nous travaillons auprès de galeries, d’hôtels, de magasins de vêtements et de lieux atypiques où l’on ne s’attend pas forcément à voir l’objet.
Au total, combien de personnes ont travaillé sur ce projet? Maxime a commencé à travailler seul sur le projet mais très rapidement, il s’est entouré de 4 acteurs principaux : Emma et Marine (modélistes 3D), Loïc (technicien industriel) et Méline (développeur).
Beaucoup de personnes sont intervenues pour donner leurs avis et tester les prototypes. Cela permet de toujours questionner la cohérence d’un projet.
Quelles sont les difficultés que vous avez éventuellement rencontrées sur ce projet, et comment les avez-vous contournées?
Nous souhaitions travailler avec l’entreprise Dar33 sur un projet de série, puisque celle-ci nous aide souvent à la réalisation de nos prototypes. Plusieurs actions industriels étaient impossibles en vu du parc machine de cette entreprise. Pour les contourner, il a fallu appréhender chacune des machines et en comprendre son potentiel pour enfin définir une proposition formelle cohérente avec les moyens industriels.
Sur combien de temps s’est déroulé ce projet?
C’est assez difficile comme question puisque d’autres projets, attendus par des clients, étaient la priorité. Celui-ci étant un développement personnel, il a été pus long à mettre en ouvre. Il a fallu 6 mois de gestation depuis la première idée que Maxime gardait dans un coin de sa tête. Une fois que nous avons mis le pied à l’étriller, le fait de travailler avec des entreprises à moins de 5 km du bureau du Studio 300 % nous a permis un développement très efficace. Tous motivés, nous échangions parfois jusqu’à très tard avec les industriels. Cette précieuse émulation était très excitante. Les premiers prototypes sont sortis très vite.
Rétrospectivement, changeriez-vous aujourd’hui quelque chose à votre projet?
Non, S1 est par définition le Projet 1 que nous avons développé et il répond à nos attentes. Nous avons reçu plusieurs critiques concernant le prix de lancement du produit (220 € pour la première édition numéroté limitée à 100 exemplaires). Cela prouve qu’un certain public reste encore loin de la réalité : sachez que nous ne pourrons jamais coller une immonde étiquette verte fluo » -70% » sur nos produits, ni même -50%, simplement parce que nos marges sont inférieures et il est interdit de vendre à perte. Nous somme très heureux de rémunérer les acteurs de cette entreprise à leur juste valeur. Aussi, nous pourrions acheter les roulettes sur un site marchand en ligne mais nous préférons créer un partenariat de confiance avec un shop de Bordeaux, qui sélectionnera des éléments de qualité. Nous somme conscient de la différence de prix, mais ce sont pour nous tous ces facteurs qui favorisent une économie globale saine.
Pour en revenir à l’objet, plusieurs prototypes et sondages ont été nécessaires avant de conclure sur cette proposition. Nous pensons développer une gamme, avec le projet S1L (expérience avec un nombre de barreaux minimum), S2 (type longboard)… En quelques petites surprises !
Et pour finir, où en est ce projet?
Nous somme en train de vendre la première série, noire « de la tête aux pieds », en édition limitée et numérotée. La portée est internationale, avec des commandes notamment aux Etats unis et en Australie. Cette édition est disponible sur notre page Facebook S1-cruiser bordeaux.
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Pour découvrir plus de travaux de Maxime Lis, visitez la page Facebook du projet ou son compte Instagram.
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