INTERVIEW : rencontre avec les créateurs de Pierreplume®, un nouveau matériau en textiles recyclés à découvrir durant la Paris Design Week
Dans le cadre de la Paris Design Week, les Ateliers de Paris présentent l’exposition Pierreplume® : le textile recyclé, un gisement pour la création. Un nouveau matériau acoustique fabriqué autour du principe d’économie circulaire. Nous avons eu la chance de poser quelques questions aux fondateurs de l’agence de design et d’architecture d’intérieur Prémices and co, à l’origine de ce projet innovant :
Pouvez-vous présenter l’équipe de Premices and co, à l’origine de Pierreplume® ?
Premices and co est une agence de design et d’architecture intérieure spécialiste en économie circulaire. Elle privilégie une conception responsable basée sur la valorisation du déjà-là. Elle mène des projets variés de design d’espace, design d’objet, signalétique, scénographie. En mobilisant souvent la pratique de la réutilisation, du réemploi, ou du recyclage dans ses projets, toujours dans un souci d’écologie et de frugalité.
A l’origine de l’agence, nous sommes trois fondateurs, Camille Chardayre, Amandine Langlois et Jérémie Triaire, tous les trois architectes d’intérieurs de formation. Nous nous sommes rencontrés pendant nos études à l’école Boulle. Nous avons fondé l’agence à Paris en 2012, en sortant de nos études.
Depuis sa création, les réalisations de l’agence sont variées : réhabilitation d’espace privé ou public, conception de matériaux issus du recyclage ou du réemploi et également ateliers publics de fabrication… L’agence collabore avec des entreprises, des institutions, des collectivités et des particuliers. En parallèle de son activité de conception, l’agence développe également deux projets portés en interne d’une part les Ateliers Chutes Libres©, ateliers publics de fabrication d’objets à partir de chutes de bois et d’autre part Pierreplume©, matériau acoustique en textile recyclé. Ces deux projets en parallèle de l’activité de conception de l’agence viennent compléter son engagement écologique, les ateliers sur le plan de la sensibilisation auprès du public sur la pratique du réemploi et le matériau sur la valorisation concrète d’un gisement de matière.
Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste Pierreplume® ?
Pierreplume® est un matériau acoustique en textile recyclé fabriqué en France. Il se compose de fibres recyclées issues des rebuts de l’industrie et de l’habillement. La particularité esthétique de ce matériau est de jouer de l’esthétique aléatoire des fibres recyclées pour évoquer différentes teintes de minéral. Pierreplume® a donc l’aspect de la pierre, mais la légèreté de la plume.
Le matériau se décline dans une gamme de 3 teintes et 12 motifs, déclinables en trois tailles afin de s’adapter au mieux aux dimensions des espaces destinés à son application. Ces revêtements muraux sont conçus pour des lieux qui nécessitent à la fois des qualités esthétiques et acoustiques : espaces de travail, boutiques, hôtellerie, restaurants… Le matériau se fixe au mur, la pose est simple et rapide.
Ce matériau est pensé principalement comme un revêtement mural, mais il peut aussi être appliqué dans d’autres domaines de la création (mobiliers, objets, événementiels…). Il se découpe à la découpe numérique ce qui offre également la possibilité d’une conception de formes sur-mesure.
Cela fait maintenant plus de 7 ans que vous travaillez sur ce projet, à l’époque, la notion d’upcycling n’était pas aussi omniprésente qu’aujourd’hui, qu’est-ce qui vous a motivé ?
Dans un contexte de nécessaire transition écologique, il nous paraissait évident de mettre nos compétences de design au service de la valorisation du « déjà-là ». Tout ce qui existe déjà à l’état de rebus constitue de véritables gisements que nous avons plaisir à valoriser plutôt que de consommer davantage de ressources naturelles. Ces contraintes, loin d’être un problème, sont pour nous un formidable terrain de jeux.
Pierreplume® est l’aboutissement d’un post-diplôme en design mené en 2011 par deux d’entre nous (Camille Chardayre et Amandine Langlois). Après nos études d’architecture, nous souhaitions nous donner un an pour expérimenter avec la matière et nous avons alors choisi les fibres textiles recyclés comme base de travail. L’étude des cycles de productions du textile, nous a permis de mieux connaitre cette filière où le gaspillage de matières est encore colossal. Un européen consomment en moyenne 26 kg de textile chaque année (Source : European Environment Agency), on peut donc imaginer combien le potentiel de gisement à valoriser est important.
Comment se sont passés ces années de recherches ?
Après notre post-diplôme, nous avons commencé par chercher des financements et des partenaires industriels pour transformer ce projet d’étudiant en véritable projet industriel. Nous avons assez vite trouvé un appui financier auprès de l’éco-organisme Eco TLC et de l’ADEME. Il a été plus long de mettre en place une équipe de partenaires capables de réaliser la fabrication du produit. Nous avons également fait une grande recherche pour cibler des gisements de fibres recyclées stables sur lesquels nous pouvions ensuite constituer nos mélanges.
Une fois que cela a été mis en place, nous avons procédé à une longue série d’expérimentations sur les machines de productions pour trouver les bons mélanges, les bons réglages, en respectant les critères esthétiques et techniques (acoustique, tenue, résistance, réglementaires…). Une fois que les premiers essais ont été réalisés, nous avons ensuite réalisé des chantiers tests permettant d’expérimenter différents modes de pose du matériau.
Aujourd’hui, une exposition aux Ateliers de Paris revient sur toutes ces années, en quoi est-ce important pour vous de présenter la genèse d’un projet de design aussi ambitieux ?
Nous nous lançons ce mois-ci la commercialisation de nos matériaux et nous souhaitions que le public puisse accéder autant aux produits qu’à la démarche qui nous a amené jusqu’ici, afin de ne pas réduire ces matières à leurs seuls aspects sensibles mais aussi d’expliquer l’intelligence du projet, en expliquant son objectif premier : trouver des débouchés de valeurs à des fibres textiles trop peu valorisées.
C’est aussi l’occasion de faire connaître, les métiers parfois peu connus de la filière (collecteur, trieur, effilocheur). En effet, nous pensons que le recyclage textile constitue un véritable gisement pour la création.
Dans le cadre de l’exposition, de nombreux designers présentent des applications de votre matériau. Comment ce sont passés les échanges avec ces designers qui s’appropriaient votre création ?
Nous avons souhaité réaliser ces partenariats avec des concepteurs issus de différentes spécialités : mobilier, architecture, art, tissage, car ce matériau est avant tout « une matière de création ». Après ces longues années de développement, c’était très dynamisant de voir – enfin – d’autres créatifs s’amuser avec, quitte à le détourner complétement et à l’utiliser d’une manière que nous n’avions pas imaginé.
Ces projets nous ont permis aussi d’évoluer dans notre conception du matériau, en nous incitant par exemple à travailler avec de plus grand format que ceux utilisé à l’origine ou en questionnant les modes de fixation.
Enfin, quels conseils donneriez-vous à de jeunes designers ou entrepreneurs qui souhaiteraient développer un produit ou un concept innovant comme le vôtre ?
En tant que designers, nous avons l’atout d’être capable de représenter de manière lisible et séduisante (par l’image, la maquette, le prototype) un projet qui n’existe pas encore. Il faut donc tirer parti au maximum de ces compétences pour emmener un maximum de gens derrière nous dans l’aventure, surtout s’il s’agit de projets vertueux pour l’environnement.
Sur le plan pratique, le fait que nous ayons d’abord commencé par trouver des soutiens solides (financiers et techniques) a été une des clés de réussite de ce projet. La recherche et développement sur un produit innovant est forcément longue et semée d’embuches, il est donc indispensable d’être accompagné.
Enfin, il ne faut pas hésiter à se lancer même si le projet n’est pas parfait et accepter de ne pas tout solutionner dans l’immédiat. Chercher à résoudre tous les problèmes en même temps est souvent un frein à la concrétisation d’un projet, il ne faut donc pas hésiter à expérimenter afin de confronter rapidement le projet à la réalité et l’améliorer en direct.
Le 10 septembre 2020, le site Pierreplume sera officiellement lancé. En attendant, vous pourrez le découvrir durant la Paris Design Week dans le cadre de l’exposition pierreplume® : le textile recyclé, un gisement pour la création du 03 au 12 septembre aux Ateliers de Paris.
Pour découvrir plus de travaux de Premices and co, visitez son site internet.
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