Le carnet Moleskine : la création d’un mythe
Il y a quelques jours, le journaliste Pascal Riché du site Rue89 publiait un article intitulé « Le « Moleskine d’Hemingway » ou la magie du marketing », relatant sa découverte récente du fait que les fameux petits carnets noirs à élastique, sur lesquels auraient écrit ou dessiné Picasso, Hemingway ou Céline, sont en fait une invention marketing, la marque – italienne – datant d’il y a seulement une dizaine d’années. Retour sur la construction fabuleuse d’un mythe !
L’auteur raconte avoir rencontré, lors d’une émission de radio, Maria Sebregondi, la responsable de la marque Moleskine chez l’éditeur Modo et Modo. Celle-ci lui a expliqué que l’idée lui est venue à une époque ou Modo et Modo publiaient un ensemble d’ouvrages consacrés aux voyages et à la culture. Elle a alors proposé de reproduire le carnet cher à l’écrivain britannique Bruce Chatwin, qui est le premier (et peut-être le seul), à avoir parlé de carnet « Moleskines » (de « Mole skin », signifiant peau de taupe : il s’agit en fait d’un coton vernis autrefois utilisé pour couvrir des banquettes, entre autres) dans un roman, Le Chant des pistes, publié en 1987.
Certes Hemingway, Picasso, Matisse ou Céline utilisaient bien des carnets de croquis, mais ils étaient le plus certainement produits par différents fabricants, avec des couvertures en cuir ou en coton vernis. Modo et Modo tout a simplement laissé entendre que tous ces carnets étaient des Moleskine, et que les carnets produits actuellement en étaient les héritiers.
L’histoire est non seulement exemplaire quant à la capacité d’une marque à créer un mythe autour de ses produits (ce qui est sommes toute une pratique assez courante), mais aussi pour la capacité du produit en lui-même à coller à ce mythe (sa forme, ses matériaux…). Une prouesse qui, comme le souligne Pascal Riché « mériterait d’être enseignée dans toutes les bonnes écoles de commerce », et de design pourrait-on ajouter !
Quelques extraits de l’article original :
« Il y a quelques jours, je me suis offert moi aussi un carnet Moleskine. Mon premier.
Je l’ai fait pour comprendre : je devais participer quelques jours plus tard à une émission de France Culture, « Masse Critique », à laquelle était invitée Maria Sebregondi, responsable de la marque Moleskine chez Modo et Modo. Cette société italienne, rachetée par la Société générale, a réussi à inonder le marché de ces carnets prétendument « mythiques » : 4,5 millions par an, dont 60% vendus en librairie ; 200 000 par an en France. »
« Certes, le truc est très beau, et il épouse parfaitement l’air du temps : le temps du nomadisme triomphant, le temps des blogs (une autre forme de carnets), le temps des communautés (la marque a créé celle des moleskineurs), le temps des bobos décroissants (et de ce point de vue, le carnet est assez bien assorti, je trouve, avec la soupe bio au rutabagas).
Mais son succès tient avant tout au talent des équipes de marketing de Moleskine. Et quelle équipe ! Modo et Modo a recruté dans celle-ci non seulement Hemingway, mais aussi Picasso, Matisse, et bien d’autres. »
« Pourtant, c’est là le plus fort de l’histoire, ni Hemingway, ni Picasso, ni Van Gogh, ni Céline, ni Mallarmé n’ont jamais utilisé de carnet de la marque Moleskine…
Pour une raison simple : la marque n’existait pas à leur époque.
C’est Modo et Modo qui, en 1998, il n’y a pas si longtemps, l’a pour la première fois créée et déposée. »
Source : eco.rue89.com.
le 12 avril 2009 à 16 h 27 min
personnellement,je ne vois pas comment l on peut saluer cette initiative marketing,ni comment on peut soutenir et enseigner en école marketing ce genre de pratique,retirer une certaine fierté de tromper le client,en lui mentant.gageons que cet effet marketing,rapidement prendra une direction inverse au succès,a mon avis préjudiciable a cette marque.
le 14 avril 2009 à 9 h 12 min
Bonjour Lovichosa et merci pour votre commentaire.
Cet article ne consistait pas tant à saluer cette initiative marketing qu’à souligner son efficacité, avec laquelle on peut ou non adhérer… nous sommes à ce sujet-là totalement d’accord avec vous.
De plus, il faut avouer que cette pratique consistant à « projeter » sur un produit une histoire ou une forme de « mythe » (cf. par exemple les chips « à l’ancienne ») n’est pas nouvelle. Nous émettons cependant l’hypothèse qu’elle pourrait, dans certains cas, se révéler intéressante car elle permet de créer une histoire, certes de toute pièce, mais tout de même assez forte pour que l’utilisateur/consommateur s’y retrouve. Reste maintenant à savoir comment « bien » l’utiliser.