*Le design comme science des systèmes
À lire absolument, dans le magazine d’A de septembre, cette interview de Marco Steinberg, architecte finlandais et Associate professor à Harvard, qui dévoile un rôle essentiel du design et de l’architecture : la capacité intrinsèque de ces disciplines à comprendre, schématiser et éventuellement remettre en cause des systèmes complexes. Présentation et extraits.
Intitulé « Les architectes vont-ils sauver le monde », ce texte décrit plus précisément l’analyse que Marco Steinberg a mené du système de santé américain autour de la ville de Boston. Se dévoile également en filigrane, autour de ce cas très « concret », la manière dont le design et l’architecture peuvent, selon lui, aider à remettre à plat un cahier des charges souvent complexe, parfois contradictoire ou incomplet.
Par exemple :
« La rationalité économique de la construction prône des chambres doubles. Sur le plan médical, on voit bien que c’est beaucoup plus cher ! En fait, les chambres simples sont plus efficaces si l’on considère la question dans son intégralité. Mais le programme de l’architecte n’intègre jamais ces données de manière ouverte : on lui demande de travailler avec des paramètres déjà décidés, qui l’empêchent de prendre la bonne décision. On se prive ainsi de la capacité à résoudre les conflits qui caractérise le savoir profond dont un architecte est porteur ».
Autres extraits :
« Finalement, si l’on schématise, ce qu’apporte un architecte, un designer, c’est une capacité à visualiser la complexité et d’avoir des techniques de représentation convaincantes »
« Il était donc nécessaire de remonter en amont des solutions existantes pour retrouver l’espace beaucoup plus large de la définition des problèmes : c’est ce que l’on appelle du system design. L’objectif n’est pas de concevoir un objet mais de donner une forme au processus de décision, en amont des formes. »
« Plutôt que de fournir de bonnes solutions à de faux problèmes, notre force a résidé dans le fait que nous posions de bonnes questions ».
« C’est une perspective plus stratégique. De la préprogrammation, s’il on veut. Il faut donc prendre du recul ».
L’intérêt de l’article est donc qu’il montre l’intérêt d’une approche plus globale des questions posées, mais aussi qu’il insiste sur le fait que le designer ou l’architecte, avec des savoir-faire qui lui sont propres, est peut-être le plus à-même de proposer cette analyse. Ainsi, à la question des « outils et méthodes » utilisés, Marco Steinberg répond :
« Ce sont des principes, parfois des outils ; travailler simultanément à plusieurs échelles. La capacité de réaliser des esquisses, car il faut être capable d’anticiper avant même de commencer à chercher. Ou encore la capacité de décrire le tout en détaillant une partie : le plus important aura été de dessiner une « coupe » dans tout le système de santé. »
« Le travail du designer ici, c’est de représenter des structures mentales et culturelles qui conditionnent des relations de pouvoir ».
« Plus que des outils, ce que nous avons importé de l’architecture, c’est une forme d’intelligence des problèmes ».
« Le dessin d’une coupe permet par exemple de représenter les lieux où les connexions sont critiques, le design nous aide à ne pas subir la complexité. Et les architectes en particulier savent inventer une diversité de compétence autour de la construction d’un système »
« Un grand nombre de décisions sont prises sans qu’il y ait un système de prise de décision propre au problème posé. En tant que discipline interrogative, le design se trouve dans une position unique pour répondre à ces besoins stratégiques ».
Source : d’A n°175, septembre 2008, « Les architectes vont-ils sauver le monde », entretien avec Marco Steinberg réalisé par Marc Armengaud, pp. 18-21?